Journal intime d’un chat domestique, épisode 11

S’il y a bien un truc qui m’énerve avec les humains, ce sont les interdits. Je n’ai pas le droit de me faire les griffes contre les poufs, par exemple (alors que je fais bien attention de le faire par en-dessous, là où ça se voit presque pas). Je n’ai pas le droit de monter sur les tables. Et surtout, je n’ai pas le droit de dormir dans la chambre des humains. La pièce du fond ? Ok. La salle de jeux ? Pas de problème. Les chambres des enfants ? Welcome. Mais la chambre des humains, c’est niet. On croirait qu’ils y gardent les cadavres de leurs précédents chats, à voir comment ils s’acharnent à la fermer à clé. J’ai toujours un petit frisson quand je pénètre dans la pièce, un peu comme la femme de Moustaches bleues. Ben oui, le célèbre conte pour chatons, voyons ! Je vous fais marcher. Les chattes sont loin d’être les reines de la maternité, il n’y a qu’à voir comment ma génitrice m’accueille quand j’ose entrer sur son territoire. Donc les contes pour chatons, ça n’existe pas, ne soyez pas si naïfs… Bref. Quand je disais que les humains s’acharnaient à la fermer à clé, ou du moins à bien la claquer pour m’empêcher d’y entrer, je voulais parler de l’humaine. L’humain est beaucoup moins infaillible, heureusement. Mon humaine dit que c’est un truc de mâle de ne pas savoir fermer les portes, y compris celles des placards. (C’est vrai, elle est un peu sexiste, mais comme je suis une femelle, ça ne me dérange pas). Toujours est-il qu’elle prend bien soin que cette pièce me soit inaccessible. Je ne vois pas pourquoi. Y a-t-il un rapport avec les deux ou trois fois où j’ai sauté sur leur lit et miaulé en demandant à sortir alors qu’ils dormaient ? OK, il était 4 heures du matin, mais comment pouvais-je le savoir ? C’est pas comme s’ils m’avaient acheté une montre… (Et en toute franchise, même si je l’avais su, quelle importance ? J’ai envie de sortir, je m’exprime, et ils accèdent à ma demande, contents ou pas). Le truc, c’est que nous, les chats, les interdits, ça nous fait un peu le même effet qu’aux mini-humains. Interdisez aux deux mini-humains de manger des bonbons, ils en cacheront quatre paquets dans leur chambre… Interdisez-moi d’aller me cacher dans le placard de l’humaine et de mettre plein de poils blancs sur ses vêtements… vous avez compris.

La chambre des humains, c’est mon Saint Graal à moi. Pour l’atteindre, il me suffit d’être patiente et d’attendre une faille de l’humain. Il est le dernier à finir de s’habiller le matin ? Bingo. Il remonte dans la journée chercher quelque chose ? Re-bingo. Il me suffit d’être au bon endroit au bon moment et c’est le jackpot. Je me cache tellement bien que l’humaine peut passer des minutes entières à m’appeler et à ouvrir tous les placards, elle ne me trouvera pas. Je ne suis pas grosse, et je suis maligne. Elle a bien trouvé ma cachette une ou deux fois (il faut dire que je laisse parfois des preuves derrière moi, maudits poils !) mais je prends soin d’en changer régulièrement pour brouiller les pistes. Dans un bon jour, quand elle ne se rend pas tout de suite compte de mon forfait, je peux grappiller quelques heures d’un sommeil bien mérité, loin du bruit ambiant de la maison (des mini-humains, quoi). Et même quand elle m’appelle, je ne bouge pas une oreille, et je ne sors de ma cachette que quand elle s’est éloignée, histoire de ne pas la renseigner sur l’emplacement de ma planque… Pas vue, pas prise. C’est peut-être terminé pour aujourd’hui, mais je guetterai la prochaine faille, et je m’y engouffrerai sans pitié.

Journal intime d’un chat domestique, épisode 10

Vous ne devinerez jamais ce que les humains ont encore inventé ! La neige. Ne me dites pas qu’ils ne sont pas responsables, c’est pas félin, ce machin. C’est glacé et ça mouille les pattes, et puis ça me fait de l’ombre, c’est une des rares choses qui soit plus blanche que moi. C’est comme si elle se moquait de mes taches noires. Hier, je me suis retenue d’aller faire pipi toute la journée en espérant qu’elle disparaisse, mais j’ai dû me résoudre à l’évidence et sortir l’affronter, au moins deux minutes. Heureusement que les humains ont eu pitié de moi et m’ont laissé dormir à l’intérieur. On ne sait jamais, si ça se trouve c’est dangereux. En plus ça fait mal aux yeux. Ce matin, je me suis réveillée, et c’était encore tout blanc. Et là, ça vient de recommencer à tomber. J’ai beau la regarder très fixement, elle ne fond pas. Je doute que ma vessie gagne cette bataille, mais je suis déterminée à tenter le coup. Non mais franchement, déjà quand les humains font pleuvoir, je leur fais la tête, mais ça a au moins le mérite de former des petites flaques où je peux boire, alors que là… je ne vois vraiment pas l’intérêt.

Ils ne parlent que de ça, en plus. Les mini-humains sont encore plus excités que d’habitude – c’est difficile à imaginer, je le conçois – ils ont passé un grand moment hier, avec des tenues ridicules et dont leurs jambes dépassaient de dix bons centimètres (ils ne sont pas plus habitués à ce temps que moi, apparemment), à se jeter des armes constituées de cette maudite neige en poussant des cris.

Les humains, eux, n’ont pas franchement l’air plus rassurés que moi. Ils disent qu’ils aiment bien la neige dans le jardin, mais pas sur la route, et ils ne sont pas suffisamment intelligents pour inventer un moyen de la diriger exclusivement là où ça les arrange. Alors ils fixent le sol en se demandant s’ils vont pouvoir sortir le monstre à moteur qu’ils appellent voiture. Et je vois bien que l’humaine angoisse déjà à la perspective que son cours de zumba soit annulé (alors qu’elle peut se trémousser devant sa télé, ça a l’avantage de confiner le ridicule dans un cadre strictement privé). Alors, de grâce, les humains, la prochaine fois que vous voudrez faire les malins, inventez un truc utile pour tout le monde, un arbre à croquettes, par exemple (suggestion personnelle, avouez qu’elle est excellente).

L’autre femme

Samedi dernier, avec quelques amies de plume, nous sommes allées visiter l’exposition Multicolorama, au Silo (Château-Thierry). Si toutes les œuvres ne m’ont pas parlé, j’ai trouvé le parti pris d’une des artistes, Faustine Jacquot (réaliser des dessins à partir de câbles électriques), intéressant.

Ce texte est issu d’une consigne que l’une de nous a imaginé : choisir une oeuvre de l’expo et écrire librement par rapport à notre ressenti. Ce texte est donc inspiré d’une oeuvre de Faustine Jacquot, sans titre (à ma connaissance) représentant une femme assise sur un tabouret de bar. Le dessin est visible sur le site de l’artiste, n’hésitez pas à aller y faire un tour…
https://faustinejacquot.tumblr.com/

C’était décidé, elle sortirait dîner ce soir. Elle affronterait les regards et se montrerait telle qu’elle était. Elle avait résolu, en ce début d’année, de ne plus se soucier tant de l’opinion des autres.

Elle a fait des efforts pour s’apprêter. Elle a relevé ses cheveux en une couette, coiffure qu’elle n’avait pas portée depuis ses 10 ans, et elle a habillé ses lèvres de rouge et allongé ses cils. Ses ongles ne sont pas manucurés, elle ne pousse pas l’orgueil jusque-là. Mais ils sont courts et propres, c’est l’essentiel. Pour sa tenue, elle ne pouvait pas faire grand-chose, elle n’a plus d’autre vêtement à sa taille. Elle s’est autorisé une touche de glamour, des escarpins qui lui massacrent les doigts de pieds, mais qui lui rappellent ces nuits passées à danser, dans un autre siècle. Celui avant les rides et la solitude. Celui avant le grand basculement vers cette étrangère qui se tient devant son miroir. Cette étrangère qu’elle n’identifie que grâce à ses escarpins rouges et ses cheveux relevés. Elle ne peut pas renoncer, maintenant, tourner totalement le dos à ses bonnes résolutions. Alors, elle sortira. Elle prendra sa voiture jusqu’au fast-food du coin et commandera deux menus à emporter. Puis elle rentrera, s’assiéra précautionneusement sur ce tabouret de bar conçu pour une autre, et mangera son hamburger, en parlant avec celui qui est parti depuis longtemps et qui ne lui répondra pas, pas plus qu’il ne mangera le menu qu’elle s’obstine à lui acheter comme s’il n’avait pas disparu en même temps que celle qu’elle était, au siècle d’avant. Elle finira par manger le deuxième hamburger, elle le sait, en se sentant encore plus étrangère à elle-même à chaque bouchée. Puis elle se démaquillera, relâchera ses cheveux et libérera ses pieds meurtris, en attendant d’avoir le courage de jouer la partition jusqu’au bout et de soutenir le regard de la femme que lui renvoie le miroir de l’entrée.

Jusqu’à quand ?

Jusqu’à quand leur dit-on…

Regarde devant toi quand tu marches

Reste sur le trottoir

Ne t’éloigne pas trop

Attention, on est dans un parking

Assieds-toi correctement

Tu vas te faire mal

Dépêche-toi, on va être en retard

Ne parle pas la bouche pleine

Mange avec ta fourchette, pas tes doigts

Va te laver les mains, on passe à table

Il est tard, c’est l’heure d’aller se coucher

Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ?

Range ta chambre

Calme-toi

Serre-moi fort

Je t’aime

Moi j’adore, maman déteste

Compter jusqu’à 1 000 le dimanche à 7 heures du matin

Parler sans discontinuer quand maman cherche à se garer

Vérifier que l’on m’a servi exactement le même nombre de gnocchis (voire plus) que mon frère

M’assurer également que le niveau de grenadine dans mon verre est supérieur ou égal à celui du susnommé

Citer le nom et le nombre de points de toutes les cartes Pokémon de ma collection

Écouter du Soprano à fond

Sautiller autour de ma chaise pendant le repas en faisant le clown

Faire un scandale parce que c’est à moi de tenir la télécommande

Laisser les lumières allumées dans chaque pièce dans laquelle j’ai été

Faire des collections de capuchons de compotes et de cartons d’emballage

Manger les gâteaux apéro par poignées

Mettre de côté les petits pois qui se sont subrepticement mêlés aux carottes dans mon assiette

Tremper mon morceau d’emmenthal dans ma Danette, mais exiger que les légumes restent à une distance respectable de la semoule

Transformer les rouleaux de sopalin vides en armes pour des combats incessants contre mon frère

M’essuyer la bouche sur mon pull, et le nez sur ma manche

Nier que je me ronge les ongles, mais être incapable d’expliquer pourquoi ils ne poussent pas, contrairement à ceux de mes pieds

Jouer tout nu aux Lego plutôt que de me mettre en pyjama

Suivre les conseils du petit diable qui me murmure des idées de bêtises à l’oreille

Laisser discrètement tomber sur le tapis les morceaux de viande prémâchés que je n’ai pas réussi à manger

Mettre un doigt dans mon nez, puis dans ma bouche, dans un même geste

Insister pour acheter une nouvelle marque de gâteaux, puis refuser de les manger

Retourner totalement ma chambre juste après qu’elle ait été rangée, pour chercher un « truc »


Et tellement d’autres choses encore…

P.S. Texte tiré d’une consigne de Faire écrire les enfants, de Faly Stachak.

Journal intime d’un chat domestique, épisode 9

(Voici la suite de l’épisode 8. Pour ceux qui ne l’ont pas lu, d’abord je ne vous félicite pas, et ensuite, vous savez ce qu’il vous reste à faire…)

Où est-ce que j’en étais, déjà ? Ah, oui, l’humaine a coupé le moteur et la musique (ouf), et nous sommes arrivées à la porte d’un immeuble tout blanc, où le sol était nettement plus propre que chez mes humains. Bon point, mais je savais que ça cachait quelque chose. D’autres humaines étaient là, qui ont bavardé avec la mienne comme si on était dans un salon de thé et nous ont invitées à nous rendre dans la salle d’attente « Spéciale chats ». (J’ai apprécié cet effort, avant de découvrir qu’en réalité, nous étions tous dans la même pièce et que la frontière n’était que virtuelle). Tout à coup j’ai vu des petites moustaches s’approcher. Un autre chat, mais libre celui-ci. Qu’est-ce qu’il avait donné aux humains pour avoir le droit de se balader tranquillement sans être fourré dans une boîte ? En tous cas il était pas du genre stressé. Il s’est mis à tourner autour de ma boîte, à donner des coups de patte et il a même poussé le vice jusqu’à monter dessus. Il avait pas plus de 4-5 mois mais je lui aurais bien foutu une rouste. Le problème c’est que j’étais dedans, et lui dehors. Ça m’a passablement énervé : tout ce que je pouvais faire c’était attendre que ça passe. Tout à coup il a disparu. Mon soulagement a été de courte durée : il avait simplement repéré une paire de chiens qui venaient subir le même sort que moi. Pour une fois, j’étais contente d’être dans ma caisse. Surtout qu’ils n’avaient pas l’air commode. Le petit chat, qui jusqu’ici se comportait comme s’il était propriétaire de l’établissement, s’était volatilisé. Heureusement, avant que ça tourne au pugilat, un humain en blouse blanche est arrivé. Quand il a ouvert la boîte, je suis sortie, sans trop me faire prier (OK, un peu, mais j’ai pas mis les griffes, promis). Il a commencé à me faire des compliments, lui aussi. Décidément, c’est une manie chez les humains, soit ils s’excusent, soit ils nous caressent dans le sens du poil pour nous faire oublier les mauvais traitements qu’ils nous infligent. « 3,4 kilos, elle est restée exactement au même poids que l’année dernière, bravo ! » Et l’humaine de se gargariser. En même temps, c’est pas comme si je participais à un concours de beauté… Il m’a donné un coup de peigne, jusqu’ici ça allait, mais je savais que ça allait se corser. Je vous épargnerai les détails de la suite des opérations, je suppose que vous savez comment on prend la température… Je ne préfère pas en dire plus. Et puis comme si ça ne suffisait pas, quelque chose m’a piqué la fesse droite, la douleur n’a pas duré mais c’était très désagréable. Et puis hop, retour dans la boîte. Pour le coup, j’y suis rentrée au pas de course. En revenant dans le hall, on est retombées face aux deux humaines toujours aussi mielleuses, le petit chat est revenu faire son intéressant en montrant que lui était libre d’aller où bon lui semblait mais à bien y réfléchir, je ne l’envie pas, il passe son temps à proximité de gros chiens, de canaris et autres « animaux domestiques » et à mon avis les humains doivent le torturer beaucoup plus souvent que moi. Une des humaines a essayé de m’acheter en me donnant des friandises, je les ai prises, ça n’engage à rien, mais c’est pas comme ça qu’on arrivera à me faire taire. J’ai résolu de tout dire sur cette horrible expérience, et comme vous le voyez, j’ai tenu ma promesse.

Journal intime d’un chat domestique, épisode 8

Il m’est arrivé un truc horrible aujourd’hui. J’ai bien senti que quelque chose se tramait, les humains parlaient à voix basse, j’ai pas tout compris mais il était question de « faire attention de ne pas laisser sortir Pupuce ». Vu le temps qu’il faisait dehors, c’était pas sur ma to-do list donc je me suis pas inquiétée plus que ça. Et puis j’ai vu la « boîte ». Je me souvenais pas trop à quoi elle servait mais je savais que c’était pas bon. Mais comme je suis quelqu’un de confiant, je suis montée me coucher sur mon lieu de repos de la semaine (je vous en reparlerai plus tard). Je venais à peine de trouver la position idéale pour ma sieste de 10 heures (durée minimale) quand l’humaine est arrivée. Mon intuition s’est confirmée : il se passait quelque chose de louche. Elle m’a prise dans ses bras, ce que je ne tolère que quand elle vient de me donner de la pâtée. (C’est pas aux humains de décider du moment des câlins, après tout). Je suis restée indulgente, comme à mon habitude. Quand nous sommes arrivées en bas, la « boîte » était ouverte. L’humaine a essayé de m’y enfermer, j’ai écarté les pattes comme j’ai pu, mais elle a fini par avoir le dessus, si c’est pas malheureux d’en venir à la violence. La « boîte » s’est refermée avec un clac qui signait la fin de ma liberté. A débuté ensuite le supplice de la grosse boîte qui bouge et qui fait du bruit, la toiture. Ah, non, je crois que je confonds, c’est la « voiture ». (Ne vous moquez pas, le vocabulaire humain n’est pas à la portée de n’importe quel félin). J’ai tenté de faire pitié à l’humaine en poussant des miaulements atroces, à mille lieux des petits « mia » mignons qui sont habituellement ma marque de fabrique. A défaut de lui faire changer d’avis, j’ai eu au moins la maigre satisfaction de lui casser les oreilles. Elle m’abreuvait de mots doucereux sensés me calmer, comme quoi elle était désolée, que c’était pour mon bien, on voit bien que c’était pas elle dans la boîte. Après elle a tenté de mettre de la musique, il paraît que ça adoucit les mœurs. Moi, ça a tendance à me mettre les nerfs en pelote, et croyez-moi, je m’y connais en pelotes. Voyant que ça ne fonctionnait pas, elle s’est mise à chanter, ce qui pour le coup a aggravé mon calvaire. J’ai arrêté de miauler quand la voiture s’est arrêtée, même si je savais bien que ce n’était que le début du supplice…  Mais je vous raconterai la suite une prochaine fois. On se venge comme on peut…

Hantise

Pour cet exercice d’écriture proposé par mon amie Liliane, nous avions un point de départ, « A l’instant où je pénètre dans ce sous-bois » que nous devions poursuivre selon notre inspiration. Voici la mienne :

A l’instant où je pénètre dans ce sous-bois, j’ai la sensation diffuse que je n’en ressortirai pas. Tout ici semble baigner dans une lumière menaçante que je ne saurai expliquer. Et pourtant, je continue à marcher, comme hypnotisée. Il me semble que mon libre arbitre est resté sur le chemin de terre où j’ai laissé ma voiture. La forêt m’appelle et je me dois de lui répondre. Au-dessus de moi les hautes branches des chênes dessinent des ombres qui semblent vouloir m’attraper telles les serres d’un rapace. Au sol, le moindre de mes pas produit à mes oreilles un vacarme assourdissant. J’essaye d’éviter les brindilles qui craquent, de privilégier la mousse et l’herbe, mais j’ai l’impression d’être un pachyderme incapable de passer inaperçu. D’ailleurs, je sens leurs regards posés sur moi. Toute la forêt a semble-t-il, cessé ses activités habituelles pour m’observer. A ma droite se tient un écureuil, un gland posé entre les pattes. Il ne s’enfuit pas à mon approche, conscient que c’est moi l’intrus sur son territoire. Je sens la chaleur de son regard sur moi alors que je m’éloigne. Partout, les oiseaux, que j’entendais pépier avant d’entrer ici, ont cessé de chanter. La gorge sèche, je peine à déglutir. Je pressens que quelque chose de terrible va arriver. Et pourtant, je marche, tout droit. Je m’enfonce dans ce lieu sombre et silencieux, où tout m’est hostile. J’entends mon cœur cogner comme des milliers de tambours dans ma poitrine et dans mes tempes. Soudain, un cri d’oiseau, strident, qui me fait trébucher. Je me retrouve un genou à terre et je n’ose plus bouger. Je sens qu’ils se rapprochent, que même si j’accélère le pas, je ne pourrai pas leur échapper. Alors, à quoi bon ? Je me relève lentement, mon genou droit commençant à me lancer, et je sens la menace derrière moi. Il faut que je me retourne. Il le faut. Mais pendant quelques instants, pétrifiée par la terreur, j’en suis incapable. Ce n’est que quand j’entends le cri de l’oiseau à nouveau que je comprends qu’il cherchait à m’avertir. Alors je me retourne et je les vois, m’encerclant, ne me laissant aucune échappatoire. Je lève les yeux et croise le regard de l’oiseau qui pousse un dernier cri avant de donner un grand coup d’aile et de me laisser seule avec mes démons.

Y croire

Cher Père Noël, j’ai 8 ans et je ne crois plus en toi, mais je t’envoie ma liste quand même parce que sinon, mon petit frère va se demander pourquoi et je ne veux pas qu’il arrête de croire au Père Noël. Ça fait quelque temps que j’ai des doutes, je dois te dire. Mes parents n’ont jamais trouvé d’explication crédible sur ta capacité à rendre visite à des millions d’enfants le même soir, et comment fais-tu quand il n’y a pas de cheminée ? Tu passes à travers les murs ? Et si les lutins fabriquent les jouets, à quoi servent les rayons débordants des grands magasins ? Tout ça était un peu louche, mais je voulais encore y croire parce que le Père Noël, contrairement aux parents, a un budget illimité qui me permettait de découper dans le catalogue les Lego chérots qui donnent des palpitations à mon père. Sans parler des mini-motos super dangereuses auxquelles ma mère mettrait son veto. Je me disais que le Père Noël était peut-être moins à cheval sur la sécurité qu’elle… Tout ça, c’est terminé, et c’est un peu dur à avaler. Tu ne me répondras pas, je le sais. Mais ça n’empêchera pas mon cœur de battre un peu plus vite quand je recevrai la lettre signée « Père Noël », envoyée par les lutins. (Oui, maman m’a dit que c’était le secrétariat de la Poste, mais laisse-moi le temps de m’y faire).

Julien

P.S. Tu sais que si tu m’apportes le Lego Star Wars à 169,99 euros que j’ai quand même mis sur ma liste (on ne sait jamais), je pourrais peut-être revenir sur ma décision de ne plus croire en toi ? La balle est dans ton camp.

P.S. 2 Tu as des infos sur la petite souris ? Parce qu’en parlant d’histoire louche, celle-là tient le pompon.

Journal intime d’un chat domestique – épisode 7

Parfois, je « jardine » avec l’humaine. C’est l’une des activités les plus épuisantes – et ridicules – des humains. Je ne sais pas trop pourquoi ils s’agitent ainsi, peut-être pour compenser tout le temps qu’ils passent devant leurs écrans, mais ça leur prend toujours quand il fait beau. Le simple fait de les regarder me donne envie de piquer un roupillon. Alors, pour faire plaisir à l’humaine, et pour lui montrer que je m’intéresse à ses activités, je viens me rouler dans la terre là où elle vient juste d’être retournée. Je montre mon ventre, j’attends l’inévitable câlin, et puis je la regarde s’affairer. Parfois je donne un ou deux coups de patte à une herbe, histoire de mettre ma pierre à l’édifice, et puis je repars me coucher loin de ce bruit et de ces outils avec lesquels elle pourrait se faire mal. L’objectif du jardinage, si j’ai bien compris, c’est d’enlever des trucs qui poussent naturellement dans le sol et ne gênent personne et de les remplacer par des fleurs (aucun intérêt quand on n’est pas une abeille…) ou, pire, par des choses soit disant comestibles, ce qui reste à prouver vu que ça ne ressemble ni de près ni de loin à des croquettes ou à de la pâtée. Puis, une fois cette opération réalisée, d’attendre que les herbes reviennent et que les choses à manger poussent toutes seules, ou quand l’humaine pense à les arroser (ce qui, entre nous, n’est pas très souvent). Ce manège recommence tous les ans au printemps, avant que le jardin ne soit transformé en jungle dès les premières gouttes ou la baisse des températures. Là, les herbes, que les humains qualifient de « mauvaises » (je ne sais pas ce qu’elles leur ont fait) pourront pousser en toute tranquillité, plusieurs mois durant, jusqu’à ce qu’un nouvel accès de mauvaise conscience pousse l’humaine à ressortir ses instruments de torture et à perturber à nouveau la quiétude de mon territoire. Pff, je vous assure, la vie d’un chat n’est pas facile tous les jours…