Journal intime d’un chat domestique – épisode 16

Vous vous souvenez sans doute du moment le plus humiliant de votre vie… Si vous n’y pensiez pas, je suis sûre que c’est le cas maintenant, ne me remerciez pas. (Sinon, vous avez dû faire un blocage. Je vous conseillerais de consulter, les blocages c’est comme les boules de poil, il faut les évacuer, croyez-en ma grande expérience). Quel que soit ce moment traumatisant, ce n’est rien comparé au supplice de la collerette. Je n’ai jamais vu un humain avec une collerette, ce qui prouve que cet objet a été créé pour nous rabaisser et nous remettre à nos places d’animal domestiqué (qu’ils croient). La collerette est une épreuve subie par nombre de mes congénères et même certains chiens, il paraît (mais dans ce cas-là, c’est juste rigolo). J’ai moi-même été victime de la collerette quand j’étais petite. J’étais douce et câline alors. J’aimais mes humains inconditionnellement, je les croyais incapables de toute cruauté, ils me donnaient à manger, un abri quand il pleuvait, le tout contre quelques caresses ma foi plutôt agréables (excepté celles dans le sens inverse du poil des mini-humains, mais j’étais presque prête à leur pardonner). Mais un jour, ils m’ont amenée chez le vétérinaire, et là je ne sais pas ce qu’il m’a fait, mais un truc définitif qui m’a privé à tout jamais de la possibilité d’avoir mes propres enfants. Et qui m’a demandé mon avis ? Personne, bien sûr. Je dois avouer qu’avec le recul, ça m’arrange, j’ai une expérience concrète des enfants version humains, c’est bruyant, pas autonome pour un sou et au bout du compte ça cherche à vous piquer votre bouffe et votre territoire (en embarquant votre santé mentale pour la route). Donc si ce n’était que ça, j’aurais pu leur pardonner. Mais pour la collerette, jamais. Imaginez passer de longues journées à ne pas pouvoir vous laver (pour les chats, c’est important l’hygiène… en tant qu’humain vous ne pouvez pas comprendre), à ne pas pouvoir passer votre patte derrière l’oreille pour annoncer la pluie (ah ah, il n’y a que les humains pour croire à ça), à se cogner contre les murs parce qu’on n’a plus d’équilibre, à devoir recalculer sa trajectoire sans arrêt parce qu’on prend plus de place que d’habitude (un peu comme les humaines quand elles ont un peu trop mangé, vous savez, celles avec un énorme ventre comme un ballon), à ne pas pouvoir boire ni manger sans se contorsionner, sans parler des siestes, obligée de s’appuyer contre un morceau de plastique… Ça vous traumatise pour une vie entière, croyez-moi ! Le pire, c’est quand ça vous gratte quelque part, et que vous ne pouvez rien y faire ! Vous imaginez, ça ? Je vous le dis, cet objet, c’est un instrument de torture, pur et simple. Ça n’a aucune utilité pratique, à part de nous empêcher de vivre notre vie. Après les humains s’étonnent que je n’aie jamais été la même ensuite. Plus distante, moins câline. Maintenant, je sais à quoi m’en tenir avec les humains. Je sais que les plus gentils d’entre eux sont capables des pires exactions. Je sais ce qui peut se cacher derrière les gestes d’affection et les caresses. Tout comme je sais que je ne suis pas à l’abri de subir de nouveau le supplice de la collerette si un jour, les humains sont mécontents de moi et veulent réaffirmer leur supériorité sur celle qu’ils prétendent aimer. Mais croyez-moi, je ne suis plus la même, et cette fois-ci, je serai prête. Approchez une collerette de moi, et vous verrez si je me laisse faire ! 

Nageurs

Il y a ceux qui continuent à nager alors que leurs lèvres sont devenues bleues.

Il y a ceux qui ne perdent pas leur temps, ils font les 40 longueurs prévues, puis passent au point suivant de leur planning.

Il y a ceux qui viennent surtout pour papoter et qui n’auront pas fait 100 m à la fin de la séance.

Il y a ceux qui s’aident du bord pour se propulser un peu plus loin.

Il y a ceux qui dépensent une énergie folle pour maintenir la tête hors de l’eau, mais s’y appliquent courageusement.

Il y a ceux qui enchaînent les tours de toboggan, et ceux qui ne viennent que pour le bain bouillonnant.

Il y a ceux qui donnent des coups de flip au maître-nageur en restant au fond de l’eau le plus longtemps possible.

Il y a ceux qui racontent leur vie à leur prof.

Il y a ceux qui n’osent pas se jeter à l’eau.

Il y a ceux qui se douchent et s’habillent en cinq minutes chrono.

Il y a ceux qui sont encore en culotte au bout d’une demi-heure.

Dans ce défilé de nageurs, il y a les enfants des autres, et il y a les miens.

Et moi, dans tout ça ?

Suis-je au bord de l’eau, en simple spectatrice ? Ou bien (pas très bien) cachée entre ces lignes ?

Réveille-toi

Cette consigne proposée par une de mes camarades d’écriture était simple : partir de deux mots, un ordre, « Réveille-toi »… Voici ce qu’ils m’ont inspiré.

« Réveille-toi ». J’entends l’ordre clairement, au milieu du désert.

« Réveille-toi ». Il est exprimé tout près de mon oreille et ne laisse transparaître aucune ambiguïté.

« Réveille-toi ». Tout autour de moi, l’obscurité, et rien à part cette voix que je ne reconnais pas.

« Réveille-toi ». Je ressens une envie impérieuse d’y obéir, et pourtant.

« Réveille-toi ». Mes yeux doivent être fermés, aucune lumière ne filtre.

« Réveille-toi ». Je ne peux pas, je ne peux pas.

« Réveille-toi ». Et pourtant il le faut.

« Réveille-toi ». Je mets toute ma volonté derrière cette idée, mais en vain.

« Réveille-toi ». La voix ne fléchit pas. Je sais qu’elle continuera jusqu’à ce qu’elle ait son dû.

« Réveille-toi ». Je commence à entendre d’autres sons autour de moi, des bruits cadencés de machines, qui me renvoient tous à la voix.

« Réveille-toi ». Je perçois quelque chose de différent. Une fatigue. Une résignation.

« Réveille-toi ». La voix va-t-elle cesser, me laisser seule, prisonnière du néant ?

« Réveille-toi ». Je me focalise sur cet ordre qui m’est donné. Je sais qui en est à l’origine maintenant.

« Réveille-toi ». La voix se fait suppliante. Je sens un liquide chaud couler sur mes joues. Mes larmes ou les siennes ?

« Réveille-toi ». Je rassemble ce qu’il me reste de force, et j’obéis.

Lettre au bon Dieu

Cher bon Dieu,

Si on m’avait dit qu’un jour je t’écrirai, alors que je passais mon temps à ricaner avec Benoît Balard au dernier rang, en cours de catéchisme ! On ne manquait pas une occasion de se moquer de la moustache de Sœur Catherine, qu’elle avait bien fournie, il faut le dire. Dès qu’elle mentionnait le Saint Esprit, on se donnait des coups de coude en manquant de s’étouffer. Nos pauvres parents avaient espéré nous remettre sur le droit chemin en nous séparant de nos meilleurs copains, qu’ils considéraient comme une mauvaise influence parce que leurs géniteurs étaient athées. S’ils avaient su que le maigre bénéfice spirituel des cours du samedi matin (que nous n’écoutions que distraitement) serait largement compensé par la rencontre de deux véritables canailles, catholiques ou pas, ils se seraient sans doute abstenus. Mais pour tout te dire, mon vieux, si je t’écris aujourd’hui, ce n’est pas pour m’excuser d’avoir aspergé d’encre le siège de cette chère Cathy pour qu’elle tache sa belle tenue blanche. Je crois que tu es déjà au courant de toute façon, et que tu as d’autres chats à fouetter. Si je t’écris aujourd’hui, c’est pour te demander un service. Un petit, c’est pas cher payé, si on tient compte des heures que j’ai perdues à écouter parler de toi, alors que j’aurais pu jouer au foot ou conclure avec Christiane. C’est à propos de Christiane, justement. J’ai toujours eu un faible pour elle, même quand elle avait perdu ses trois dents de devant en une semaine et que ça lui donnait un air de tortue. Elle n’aurait pas été contre non plus, mais il faut être honnête, le catéchisme s’est un peu mis entre nous. Elle avait justement un trou dans son planning entre ses cours de flûte traversière et de danse classique, le samedi matin. Pile à l’heure où je me farcissais les soliloques de Sœur Catherine sur Toi, Ta vie, Ton œuvre.  Avoue que tu as ta part de responsabilité là-dedans. Alors je suis sûr que dans ce contexte, ça ne te dérangera pas de me faire une fleur. Tu vois, Christiane, elle est revenue en ville il y a quelque temps, après son divorce. Sauf qu’elle s’est entichée d’un fleuriste (ça ne s’invente pas), qui ne la mérite pas, plutôt que de me tomber dans les bras. Ça fait vingt ans que j’attendais cette opportunité, tu comprends bien que je l’ai mauvaise. Alors je sais bien que normalement, tu ne te mêles pas des affaires de cœur, mais j’ai pas l’adresse de Cupidon et puis en réalité, j’ai pas besoin que tu la forces à tomber amoureuse de moi, juste que tu m’aides à me débarrasser du joli-cœur. Il suffirait qu’il fasse un faux pas dans les escaliers, ou qu’il oublie de fermer le gaz. Si tu te sens particulièrement inspiré, il pourrait se piquer avec une épine de rose et mourir du tétanos, je suis pas regardant. J’aurais pu demander à l’Autre, celui qui règne sur les Enfers, mais je préfère qu’on reste entre gentils. Une fois que ce sera fait, et que Christiane aura (enfin) succombé à mes charmes, on sera quittes. (Je suis prêt à dire quelques « Notre Père » pour la forme, si tu insistes, j’ai quelques restes). J’attends de tes nouvelles.

Bisous

Didier

Journal d’un chat domestique – épisode 15

Ils sont revenus. A peine la voiture garée, l’humaine a commencé à donner de la voix. Je ne suis jamais bien loin, je reste toujours à distance raisonnable de mon territoire pour voir ce qu’il s’y passe et maintenir les éventuels intrus à distance. Mais j’aime attendre un peu avant de montrer le bout de mon nez. Elle m’appelle, l’air un peu inquiète, et moi je la laisse mariner. Je joue un peu avec sa culpabilité, histoire de lui faire payer son comportement inadmissible. Puis je cède, et j’arrive comme une reine, queue en l’air, en miaulant. Elle croit que je lui dis bonjour, elle est mignonne (et un peu naïve, heureusement qu’elle ne parle pas la langue chat, je ne vous dis que ça). Puis j’accepte un petit câlin et réclame ma pitance. Ensuite, pendant qu’elle s’agite à nouveau en vidant les valises et en remplissant la machine à laver, je fais le tour de chaque pièce de la maison pour m’assurer que tout va bien. (Vous voyez que je ferais un excellent chat de sécurité. Je me demande comment les humains peuvent en douter). J’examine chaque pièce, vérifie que rien n’a été déplacé, que personne ne s’est installé dans l’intervalle, bref, que tout est à sa place. Sauf qu’il y a un souci cette fois-ci. Je crois que mes humains ont fait une boulette. Ils sont partis à quatre, et ils sont revenus à deux ! Ils ont dû oublier les mini-humains quelque part. C’est ballot. Je ne comprends pas trop c’est possible, vu le boucan qu’ils font, mais les preuves sont là : deux humains, deux valises. Est-ce qu’ils les ont abandonnés, aussi ? J’espère qu’ils n’ont pas fait ça pour moi, c’est vrai que c’est plus calme, mais bon, laisser ses enfants au bord de la route pour faire plaisir à son chat, ça me semble un peu extrême… Je renifle chaque coin de leurs chambres, mais le silence parle de lui-même. Alors je miaule. Pas mon mignon miaulement habituel, plus un signal d’avertissement, « ho hé les humains, vous avez oublié vos enfants en route ! » Ils n’ont pas l’air inquiet. Ils m’expliquent que c’est normal, qu’ils sont chez les grands-parents, qu’ils reviendront bientôt. Je préfère ça, comme ça niveau abandon, on est à égalité, et ça veut dire que je vais pouvoir dormir tranquille quelques jours, sans risque de réveil en sursaut pour cause de bataille de doudous. Voilà ce que j’appelle des vacances ! Ça tombe bien, j’ai du sommeil en retard, je vais m’y mettre tout de suite.

Journal intime d’un chat domestique, épisode 14

Ils m’ont encore abandonnée. Si j’avais le téléphone, j’appellerais la SPA, mais à défaut je vais quémander quelques croquettes chez les voisins. Il me suffit d’aller en face, chez les humains de ma sœur, ils ont adopté plus ou moins officiellement trois chats, un de plus ou de moins, ils ne verront pas la différence. Je n’ai pas de calendrier, mais mes humains partent bien trop souvent à mon goût, surtout quand il fait froid et qu’il pleut. Ils ne sont pas totalement indignes, j’ai dans le garage une panière avec une couverture, et l’humaine me laisse des croquettes et un bol d’eau. Le problème, c’est que tous les chats du quartier connaissent la combinaison de ma chatière (indice : il suffit de passer la tête dedans), et que le stock de nourriture n’est pas infini, alors quand leur absence se prolonge, j’utilise la carte « joli petit minois » et je vais faire un tour dans la maison d’en face. Je sens bien quand les humains s’apprêtent à partir en « vacances » (pour une définition de ce mot, regardez dans le dictionnaire, sous « abandon »). Les mini-humains s’excitent, l’humain s’énerve et l’humaine s’agite dans la maison en vidant les placards et en les transférant dans des valises. Elle court comme un poulet sans tête, sûre d’avoir oublié quelque chose, alors moi, de peur que cette hyperactivité soit contagieuse, je vais me cacher dans un coin pour dormir. Sauf que ces jours-là, je suis encore moins libre de mes mouvements que d’habitude. Sa marotte, c’est « Où est Pupuce ? » Elle interroge toute la maisonnée, ferme toutes les portes à double tour, bref, elle m’a à l’œil. Du coup je ne peux même pas tenter la technique de certains chats pour empêcher leurs humains de partir en vacances : se glisser carrément dans leurs valises… Remarquez, à mon avis, ça ne fonctionnerait pas, ils sont un peu limités, mais pas au point de ne pas remarquer un truc poilu de trois kilos au milieu de leurs vêtements. En plus, je n’ai aucune envie de les accompagner, mon territoire me convient parfaitement, thank you very much ! Ce qui m’embête dans les vacances, ce n’est pas tant l’absence des humains (même si un ou deux câlins par jour, ce n’est pas de refus) mais l’inaccessibilité des lits et canapés. Voilà pourquoi je repousse l’échéance le plus possible en espérant qu’ils m’oublient sur place. Ce qui est improbable, avec l’humaine et ses yeux laser prêts à me débusquer dans le moindre recoin pour me mettre dehors avant leur départ. Comme si je n’étais pas suffisamment grande et mature pour faire du housesitting ! Bon, j’avoue que s’ils me chargeaient d’arroser leurs plantes, je serais bien embêtée, mais pour assurer la sécurité de la maison, je suis sûre que je saurais me débrouiller. Un peu de confiance, bon sang !

Journal intime d’un chat domestique – épisode 13

Il y a quelque temps, je vous avais parlé de ma sœur (c’était dans l’épisode 6, pour les derniers de la classe, petite remise à niveau, hop ! http://adhoctrad.com/blog/?p=332) et de la règle bizarre des humains interdisant toute bagarre au sein de la fratrie. La maturité aidant (après tout, je vais bientôt avoir 5 ans), je mets de plus en plus d’eau dans mon vin (ou, en l’occurrence, dans mon « reste de flaque croupie », que je préfère à l’eau fraîche fournie par l’humaine) et j’arrive (presque toujours) à contrôler mes envies de tataner la figure de Misti. Je respire un bon coup, je fais semblant de ne pas la voir, et je passe mon chemin. Valentin, c’est une autre histoire. Il ne s’appelle pas vraiment comme ça, je vous rassure. Son vrai nom est encore plus bizarre, un truc qui ressemble à « Moustique ». Valentin était là avant moi. Valentin et l’humaine ont des rapports assez privilégiés, dus au fait qu’elle l’aurait sauvé d’une mort certaine. Ça, c’est la version courte qui permet à l’humaine de se faire mousser au maximum. Pour vous en dire un peu plus, il y a de longues années de ça, un 14 février au matin, l’humaine remarqua, en ouvrant les volets, une grosse tâche poilue gâchant le spectacle immaculé d’un jardin enneigé. (C’est beau, non ? J’ai des talents de poétesse). Il tremblait plus que moi devant un rottweiler de 50 kilos. Les humains le ramenèrent à la maison, essayèrent de le réchauffer, sans résultat. Ils appelèrent donc le vétérinaire (thème des épisodes 8 http://adhoctrad.com/blog/?p=357 et 9 http://adhoctrad.com/blog/?p=361) pour vous rafraîchir la mémoire, décidément, je vous gâte) qui proposa de tenter de sauver le mystérieux inconnu contre une somme équivalent à au moins 100 paquets de croquettes. Quelques jours plus tard, de nouveau sur pattes, « Valentin » passa quelques jours à se faire soigner et chouchouter par l’humaine, avant que l’identité de ses véritables propriétaires ne soit révélée et qu’il débarrasse le plancher. Aujourd’hui, neuf ans plus tard, les vieilles habitudes ayant la vie dure, il vient régulièrement se faire câliner sur le bord de la fenêtre. Et je le laisse faire, parce qu’il n’est pas méchant et qu’il fait trois fois ma taille. Au fait, la polyfélinie c’est un crime en France, ou pas ? Je pose la question, parce que franchement, au niveau des valeurs morales, je trouve ça limite, de donner son affection à plusieurs chats, alors que je devrais être la seule, l’unique. Je suis la seule qui a un petit carnet où c’est écrit « Pupuce D. » (carnet que les humains appellent « de santé », je dirais plutôt « de torture », mais c’est encore un de leurs trucs pour se déculpabiliser). Qu’est-ce qu’il ne faut pas accepter pour avoir une maison et un jardin à soi ! Une sœur, un frère adoptif dont on murmure qu’il pourrait en réalité être mon père (il ne manquerait plus que ça)… Pourquoi pas des poules tant qu’on y est ?

Journal d’un chat domestique – épisode 12

Niveau nuisances sonores, les humains ne sont jamais à court d’idées. Les plus doués pour le ramdam, ce sont les mini-humains, bien sûr. Chez eux il y a deux boutons de volume, « fort » et « très fort ». Le bouton « off », je ne l’ai jamais vu, ça doit être une légende urbaine. Le pire, c’est quand les humains, qui comme moi ont du mal à supporter tout ce vacarme, se mettent à leur hurler de se calmer, en couvrant donc largement les décibels produits par leurs rejetons. Je ne trouve pas ça très logique, se plaindre que quelqu’un fait du bruit en en faisant encore plus. Bon, je dois leur accorder un truc : moi, quand les mini-humains me gonflent, je peux toujours demander à sortir. Eux ils sont condamnés à vivre avec cette cacophonie permanente, sauf quand ils sont à l’école, ce qui repose tout le monde. Les bons jours, j’arrive à caser trois heures de sieste le matin, dont je suis sauvagement réveillée par des portes qui claquent et des enfants qui hurlent « Mimi ! » (c’est le surnom de l’humaine, la pauvre…). Niveau discrétion, c’est pas ça, ils feraient de très mauvais ninjas. Eux, quand ils entrent dans une pièce, ou même dans une maison, tout le monde le sait, à 300 mètres à la ronde. La contrepartie de la brutalité du réveil, c’est l’absence d’effet de surprise. C’est pas eux qui vont découvrir mes cachettes secrètes, j’ai largement le temps de partir avant qu’ils ne débarquent. Je me suis fait surprendre une fois, la faute à un repas trop copieux, sans doute (j’aurais dû laisser une partie de la souris pour le lendemain, je sais, mais quelqu’un me l’aurait piquée). Couchée sur le lit du petit, je me suis pris un coup de singe en peluche (leur passion, c’est la bataille de doudous, allez savoir pourquoi), puis, comble de l’horreur, le fessier de l’un d’entre eux qui ne m’avait pas vue. La douceur et la subtilité, c’est pas leur truc. Et après ils se demandent pourquoi je refuse de leur faire des câlins. Et la tendresse… ? (Je resterai polie). Bref, une fois le troupeau d’éléphants (et ils ne sont que deux, j’ai entendu dire que certains humains avaient encore plus d’enfants… petite pensée à mes co-félins en souffrance) parti pour l’après-midi, je peux à nouveau me relaxer. Heureusement que je suis de nature détendue, sinon j’imagine ce que ça coûterait aux humains en anxiolytiques… Je sais, un chat qui connaît le mot « anxiolytiques », ça impressionne toujours au début. Vous vous y ferez.

6 ans

Dans vos jeux, tu es condamné à toujours jouer le second rôle, Luigi plutôt que Mario, Jolly Jumper et non Lucky Luke, un Ewok et pas Luke Skywalker, Sancho Panza plutôt que Don Quichote, Bernardo et non pas Zorro…

Tu t’y plies sans te plaindre, tout plutôt que de jouer un méchant.

« On dirait que maintenant, je serais devenu gentil et qu’on serait copains ».

« Toi, tu fais Hulk et moi je suis ton ami ».

Tu es le plus petit, et tu as bien compris que tu serais toujours le comparse, le second couteau, pas la tête d’affiche.

Tu essaies bien de dicter les règles de temps en temps, mais tu te fais vite remettre à ta place.

De vous deux c’est toujours toi qui cèdes le premier, qui donnes du lest, qui fais des concessions.

Tu maîtrises déjà parfaitement les règles de la diplomatie.

C’est toi le premier habillé, mais ton frère, mauvais perdant, refuse d’accepter la défaite ? Tu me jettes un regard entendu et n’insiste pas.

Vous vous déchirez sur les modalités de garde de votre doudou préféré ? Tu proposes de le prendre le week-end seulement…

C’est peut-être ce qui te donne, parfois, cette allure de vieux sage. Les mains entrelacées, tu me répètes, « Ne t’inquiète pas, maman ». Je dois donner l’impression de devoir être rassurée en permanence.

Tu as 6 ans aujourd’hui et tellement plus à la fois. Tu es capable de demander « Mais alors, qui a créé Dieu ? », puis, trente secondes plus tard, de t’esclaffer parce que quelqu’un a dit « prout ».

Tu es mon petit-grand garçon et mon grand-petit garçon, et je ne suis pas inquiète, ou plutôt seulement pour toi, et certainement pas à cause de toi et de ton petit cœur qui est déjà si grand.

Bras de fer

Ce texte est tiré d’une consigne proposée lors d’un atelier par mon amie A. Il s’agissait de partir d’une phrase (je ne vous dis pas laquelle pour l’instant) et de l’intégrer où nous le souhaitions dans un texte. Voici le texte…

Les Martin et les Marteau étaient arrivés dans le lotissement en même temps, à quelques jours près. Les voisins se demandaient qui allait s’installer aux numéros 10 et 11, dont les façades décrépies rappelaient à tous que les propriétaires n’avaient plus depuis longtemps ni la volonté ni le courage de prendre soin de leur environnement. Les deux maisons étaient restées en vente des mois durant, laissant pleinement aux mauvaises herbes le loisir de se développer. Puis, le partage de l’héritage devenant plus pressant d’un côté comme de l’autre, les enfants des propriétaires respectifs avait raboté le prix de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Cela avait suffi à faire oublier le mauvais état général du jardin à ces deux couples pleins d’énergie et d’imagination. Quand des personnes rejoignent un quartier en même temps, cela peut donner des résultats très différents : soit cela les rapproche, soit ils se sentent en compétition. Très clairement, les Martin et les Marteau eurent à cœur dès leur arrivée de conquérir le voisinage et de décrocher le titre de meilleur nouveau voisin.

Cette compétition acharnée se joua principalement dans le jardin. A peine installés, ils s’attelèrent à transformer leur jungle en paradis terrestre. Les hommes débroussaillaient, taillaient, tondaient. Les femmes plantaient, arrosaient, bichonnaient. Si les Martin faisaient l’acquisition d’un palmier, les Marteau en ramenaient deux dès la semaine suivante. Si les Marteau optaient pour une haie rustique, les Martin répondaient par un savant mélange d’arbustes fleuris. Les roses du numéro 10 éclipsaient les tulipes du numéro 11, lequel ajoutait alors des dahlias et des myosotis. Partout dans le jardin, les plantes en pot débordaient et les potagers n’étaient pas en reste. Tomates, melons et courgettes faisaient la part belle aux fraisiers et framboisiers. Mais le gazon était le théâtre de la compétition la plus acharnée. Ils l’arrosaient tous les deux jours, protégeaient les jeunes pousses avec un filet, et évitaient même de trop marcher dessus pour ne pas l’abîmer. C’était à qui aurait le jardin le plus éclatant. Il y avait comme une course enragée dans ce déploiement de verdure. Une course dont un seul couple sortirait vainqueur.

P.S. La phrase dont je suis partie et qui n’est donc pas de moi, était « Il y avait comme une course enragée dans ce déploiement de verdure » (je n’en connais pas l’auteur). L’aviez-vous deviné ?