Cher bon Dieu,
Si on m’avait dit qu’un jour je t’écrirai, alors que je passais mon temps à ricaner avec Benoît Balard au dernier rang, en cours de catéchisme ! On ne manquait pas une occasion de se moquer de la moustache de Sœur Catherine, qu’elle avait bien fournie, il faut le dire. Dès qu’elle mentionnait le Saint Esprit, on se donnait des coups de coude en manquant de s’étouffer. Nos pauvres parents avaient espéré nous remettre sur le droit chemin en nous séparant de nos meilleurs copains, qu’ils considéraient comme une mauvaise influence parce que leurs géniteurs étaient athées. S’ils avaient su que le maigre bénéfice spirituel des cours du samedi matin (que nous n’écoutions que distraitement) serait largement compensé par la rencontre de deux véritables canailles, catholiques ou pas, ils se seraient sans doute abstenus. Mais pour tout te dire, mon vieux, si je t’écris aujourd’hui, ce n’est pas pour m’excuser d’avoir aspergé d’encre le siège de cette chère Cathy pour qu’elle tache sa belle tenue blanche. Je crois que tu es déjà au courant de toute façon, et que tu as d’autres chats à fouetter. Si je t’écris aujourd’hui, c’est pour te demander un service. Un petit, c’est pas cher payé, si on tient compte des heures que j’ai perdues à écouter parler de toi, alors que j’aurais pu jouer au foot ou conclure avec Christiane. C’est à propos de Christiane, justement. J’ai toujours eu un faible pour elle, même quand elle avait perdu ses trois dents de devant en une semaine et que ça lui donnait un air de tortue. Elle n’aurait pas été contre non plus, mais il faut être honnête, le catéchisme s’est un peu mis entre nous. Elle avait justement un trou dans son planning entre ses cours de flûte traversière et de danse classique, le samedi matin. Pile à l’heure où je me farcissais les soliloques de Sœur Catherine sur Toi, Ta vie, Ton œuvre. Avoue que tu as ta part de responsabilité là-dedans. Alors je suis sûr que dans ce contexte, ça ne te dérangera pas de me faire une fleur. Tu vois, Christiane, elle est revenue en ville il y a quelque temps, après son divorce. Sauf qu’elle s’est entichée d’un fleuriste (ça ne s’invente pas), qui ne la mérite pas, plutôt que de me tomber dans les bras. Ça fait vingt ans que j’attendais cette opportunité, tu comprends bien que je l’ai mauvaise. Alors je sais bien que normalement, tu ne te mêles pas des affaires de cœur, mais j’ai pas l’adresse de Cupidon et puis en réalité, j’ai pas besoin que tu la forces à tomber amoureuse de moi, juste que tu m’aides à me débarrasser du joli-cœur. Il suffirait qu’il fasse un faux pas dans les escaliers, ou qu’il oublie de fermer le gaz. Si tu te sens particulièrement inspiré, il pourrait se piquer avec une épine de rose et mourir du tétanos, je suis pas regardant. J’aurais pu demander à l’Autre, celui qui règne sur les Enfers, mais je préfère qu’on reste entre gentils. Une fois que ce sera fait, et que Christiane aura (enfin) succombé à mes charmes, on sera quittes. (Je suis prêt à dire quelques « Notre Père » pour la forme, si tu insistes, j’ai quelques restes). J’attends de tes nouvelles.
Bisous
Didier
Très original, j’ai relu pour bien comprendre que c’était de l’humour