Dialogue entre un auteur et son personnage

Je suis censée écrire une nouvelle. Enfin, disons qu’elle est entamée mais que je n’arrive pas à m’y mettre suffisamment sérieusement pour la terminer. Ça viendra sans doute. En attendant, comme les fragments c’est plus facile et ça nécessite moins de boulot, un petit texte m’est venu en rapport indirect avec cette nouvelle qui peine à s’écrire. Juste une petite folie qui j’espère n’amusera pas que moi (au pire, c’est déjà ça de pris !).

Dialogue entre un auteur et son personnage. Les dialogues du personnage sont en italique pour mieux les distinguer.

Je suis désolée, monsieur, mais vous devez mourir.

Mais enfin, je ne comprends pas, ce n’était pas comme ça dans la version d’origine, ça disait « mon père était parti », chercher des cigarettes, quoi…

Non, c’est Jean-Marc qui part chercher des cigarettes, vous, vous mourez.

Mais ça serait mieux, que je parte, que tous les hommes de sa vie la quittent…

Désolée, je ne vois pas d’autre solution. Je vais vous écrire une belle scène de mort, promis.

Je pourrais être malade… et puis m’en sortir finalement.

Vous n’y pensez pas, monsieur, c’est une nouvelle-instant, une maladie c’est long, ce n’est pas un instant. Vous mourrez dans un accident de voiture. C’est une jolie mort, vous avez de la chance.

Pff, tout le monde meurt dans cette histoire.

Pas tout le monde. Et puis vous m’ennuyez à la fin. Vous êtes un personnage, je suis l’auteur, je vous ai créé, déjà je suis bien sympa de vous prévenir avant de vous zigouiller. J’en connais qui l’aurait fait comme ça, en douce, pour préserver la spontanéité.

Faudrait la remercier, en plus !

C’est pas tout ça, on a une scène à écrire. Et arrêtez vos jérémiades, sinon je vous appelle Maurice.

Ah, non, pas Maurice.

Ou pire, Jean-Maurice.

C’est bon, c’est bon, je m’installe. Je suppose que c’est moi qui conduis.

Nous allons voir ça…

Résistance

Ce texte est issu d’une consigne envoyée dernièrement par Virginie, intitulée simplement « Écrire à partir d’une peinture ». Elle nous a proposé 6 tableaux, et l’un d’entre eux, peint par Egon Schiele, m’a inspiré le texte suivant.

Quand il l’accepta comme modèle, il ne savait pas qu’il ne lui restait qu’un mois à vivre. C’est quand il commença à choisir ses couleurs pour mieux représenter le visage qu’il réalisa que les tons de rose habituels ne conviendraient pas. Il opta pour du beige et du jaune. Le deuxième jour, il remarqua les tâches brunes qui marbraient son visage. Il ajouta à sa palette des teintes rouge foncé et marron. La lumière du studio se reflétant sur le visage de la femme donnait l’impression que son nez était tronqué, comme amputé. Il tenta de repousser la sensation de malaise qui ne le lâchait désormais plus mais des rêves de mort et de décomposition vinrent troubler ses nuits et le sommeil se fit rare. Il comprit que le portrait ne serait pas flatteur, mais il n’avait pas le choix. Il n’était pas là pour faire plaisir ni à son modèle, ni à ses éventuels acheteurs, mais pour illustrer la vérité, et à mesure qu’il avançait, il lui apparaissait de plus en plus clairement que celle-ci serait brutale et implacable. Que son portrait révélerait quelque chose que personne ne soupçonnait. Une sentence. Quand il commença à dessiner les yeux il sut que c’était une condamnation à mort. Mal à l’aise, il détourna son regard qui se posa sur un physalis qui s’épanouissait dans un coin de son studio malgré le manque de soins qu’il lui apportait. Il se força à se focaliser à nouveau sur son modèle. Mais quand il croisa son regard, il comprit qu’elle savait déjà tout. Alors il mit de la provocation dans le regard au lieu de la résignation. Il lui demanda de tourner légèrement la tête et de mettre le menton en avant. Il alla chercher le physalis et l’intégra à la scène, parce qu’il aimait son autre nom, « l’amour en cage », et parce que ses baies étaient toxiques, comme le mal qui empoisonnait peu à peu la jeune femme. Et ce portrait, de sentence, devint un pied de nez à la mort. Quand il fut terminé, il le lui jura : elle survivrait au passage du temps, elle aurait le dessus sur la maladie, sur cette toile au moins. Elle sortirait vainqueur.

P.S. Voici ci-dessus le tableau d’Egon Scheile « Self portrait with physalis ». Virginie n’avait pas donné (volontairement j’en suis sûre) le titre avec sa consigne, j’ai donc commencé à travailler le texte sans savoir qu’il s’agissait d’un autoportrait, et le personnage m’est apparu comme une femme (pour une raison que j’ignore).

Conciliabule

Stratégiquement placés entre deux poubelles, ils font un conseil de guerre. Les deux camps sont séparés par un simple grillage, et aucun ne semble prêt à céder du terrain. D’un côté, le plus âgé, adossé au mur, dégage toute la sagesse apportée par le poids de ses sept années et demie. Son comparse, ou peut-être son garde du corps, est encore un peu mal dégrossi et s’exprime principalement par des grognements et des onomatopées. De l’autre côté se dresse 1 m 02 de bagou, bien déterminé à assommer ses adversaires en ne leur laissant pas placer un mot. Enfin, un feu follet, partagé entre sa partie de foot et l’envie de suivre la conversation, complète le quatuor. Je les regarde en tentant de lire sur leurs lèvres, rêvant d’avoir une place à leur table. Mais des conversations d’adultes, beaucoup plus assommantes, m’attendent, et je les laisse à leurs débats.

L’eau à la bouche

Il y a encore la queue chez le poissonnier. Peu importe, j’ai du temps devant moi. Je me promenais au hasard des odeurs ce matin, et je me suis encore retrouvé devant sa devanture. Il faut dire que les effluves qui s’en échappent me chatouillent délicieusement les narines. Ici, si on ferme les yeux, on croit entendre les cris entêtant des mouettes, le clapotis des vagues et même les drisses de voiliers qui claquent lorsque le vent se lève.

Des dizaines de paires d’yeux brillants me titillent la moustache. Des spécimens presque encore frétillants qui ne demandent qu’à être dégustés. Sur l’étalage se mêlent des senteurs douces et parfumées. Sur quoi se portera mon choix aujourd’hui ? Des sardines, goûteuses mais dont les minces arrêtes se coincent parfois dans ma gorge ? La sole et sa chair blanche et savoureuse ? De la morue, cuisinée en brandade ou en acras ? Un pavé de thon cru détaillé en sushis ? Ou encore des crevettes bien décortiquées ? J’en salive d’avance.

Juste devant moi, une petite fille colle son nez contre la vitre parfaitement nettoyée. J’échange un regard blasé avec la poissonnière. Son mari est en plein travail : le ventre péniblement retenu par son tablier, vêtu, en bon breton, de sa sempiternelle marinière, il vide le saint-pierre de Madame Châles de ses parties les moins nobles. Mon tour est bientôt arrivé. Oh, j’ai beau être discret, j’ai été repéré mais ici plus personne ne s’étonne de me voir déambuler et faire mon marché. Je fais partie des habitués, même si les autres sont sur deux pattes.

« Madame ! Madame ! », s’écrie la petite fille décidément très mal élevée en me montrant du doigt. La poissonnière l’ignore et m’exhibe une dentition douteuse.

« Bonjour, Monsieur moustache. Qu’est-ce que ce sera aujourd’hui ? ».

Je lui rends tant bien que mal son sourire et miaule :

« Trois kilos de rascasse : je fais une bouillabaisse ».

Refus d’obtempérer

J’ai récemment participé à une formation sur l’écriture organisée par la Société française des traducteurs et animée par Hédi Kaddour (je la conseille d’ailleurs vivement aux traducteurs parmi vous)…

Il nous a demandé, pour l’une des séances, de faire un croquis d’une boulangerie, boucherie ou autre commerce que nous aimions bien. Cette consigne m’a inspiré deux textes.

D’abord, une réaction un peu épidermique (le texte ci-dessous) car j’ai parfois tendance à contourner les consignes (mon côté rebelle), puis un « vrai » croquis qui suivra prochainement (teasing…).  

Je ne vais pas chez le boucher. Je ne vais pas chez le fromager. Je ne vais pas chez le poissonnier. Je ne vais pas chez le maraîcher. Je suis de ces personnes très décevantes qui font leurs courses au supermarché, là où les fruits viennent par avion de l’autre bout du monde, verts à souhait, et sans goût ni odeur. Là où le fromage est pasteurisé et insipide. Là où le poisson est congelé et sent l’eau de Javel. C’est à cause de moi que les petits commerçants ferment, que le centre-ville se désertifie.

Je n’ai pas le temps de flâner dans les marchés, de parler météo avec le charcutier, de goûter les bons petits plats proposés par le traiteur. Je suis la femme pressée, et j’ai mieux à faire.

 

Ce que je sais

Lundi dernier, nous avons dit au revoir à ma grand-mère. Lors des obsèques, on m’a demandé de lire deux de mes textes. J’ai choisi de lire « Exotisme » et le texte que je publie aujourd’hui, « Ce que je sais ». (Pour une petite explication de l’origine du texte, voir après celui-ci)

Ce que je sais

Je sais que tu adorais le rose et les paillettes

Je sais que tu collectionnais les chouettes

Je sais que chez toi, le brie était pâteux et collait aux dents

Je sais qu’après le repas, tu faisais la sieste devant « Les feux de l’amour »
Je sais que tu étais imbattable aux mots croisés et à Questions pour un champion

Je sais que tu aimais écouter Bob Marley et regarder des matchs de boxe, même si tu préférais le rugby

Je sais que dans ton appartement, il y avait un fauteuil qui t’était réservé et que seul ton chat pouvait contourner la règle

Je sais que tu aimais chanter, peindre et tricoter

Je sais que parfois tu ne sais plus qui je suis

Je sais qu’il y a des choses que tu préférerais oublier

Je sais que tu n’as jamais assumé ton âge

Je sais que tu détestes être la plus vieille de la famille

Je sais qu’à chaque fois que je te vois, tu me sembles plus petite et plus frêle

Je sais qu’à chaque fois que je te vois, c’est peut-être la dernière

 

Pour la genèse du texte, maintenant, pour ceux que ça intéresse. Lors d’un atelier, Virginie Le Priol nous a présenté deux recueils compilés par Shaun Usher, « Au bonheur des lettres » (Letters of Note) et « Au bonheur des listes » (Lists of Note). Ce projet a débuté sous la forme d’un site Web, puis les versions papier ont été publiées. Je vous les conseille vivement, d’ailleurs. Ils sont dispo sur Amazon ou encore mieux, chez votre libraire préféré (du moins, ils devraient l’être). Dans « Letters of Note », Shaun Usher a compilé des centaines de lettres d’inconnus et de célébrités de différentes époques (Iggy Pop, Leonardo De Vinci, Kennedy…). Dans « Lists of Note », il s’agit, comme le nom l’indique, de listes tout aussi passionnantes, écrites notamment par Martin Luther King, Isaac Newton, Johnny Cash. Très éclectiques et vraiment un bonheur à lire.

Je referme la page publicité 🙂

Donc, après nous avoir présenté ces ouvrages, Virginie nous a demandé d’écrire pour le prochain atelier une liste. C’est ce que m’a inspiré cette consigne.

Emprise

Petite introduction en guise d’explication :

En décembre 2015, le Silo, espace d’expositions de Château-Thierry, a mis en place une exposition intitulée Colorama et qui avait pour thème le rouge (l’année suivante le thème était le vert). Lors d’un atelier d’écriture, nous avons eu la chance de visiter cette exposition et sélectionné ensuite un tableau sur lequel écrire. J’ai été particulièrement frappée par la salle réservée aux tableaux de Philippe Huart, artiste pop contemporain que je vous invite à découvrir, et particulièrement par un de ses tableaux, « See no evil », qui m’a inspiré le texte suivant :

Je me réveille dans cette pièce à la lumière blafarde, et je ne suis pas seule. Tout autour de moi ils semblent se moquer, me lancer leur sourire à la figure, me provoquer.  Des langues tirées, des dents parfaitement blanches, des rictus qui donnent l’illusion du bonheur. J’ai peur. Ils m’invitent à rejoindre leur monde, à montrer les dents, à voir rouge et à rire jaune. Mais ces sourires malsains, plutôt que m’attirer, me révulsent, j’aimerais pouvoir fuir mais je suis prise au piège, prise entre cette explosion de couleur tout autour et, si proche de moi, si proche qu’il me semble pouvoir la toucher, cette promesse d’échappatoire sous la forme de ces petites doses bicolores qui me permettront de fermer les yeux sur l’horreur, peut-être définitivement.

(Ci-dessous le tableau de Philippe Huart ainsi qu’une vue d’ensemble de certains des tableaux exposés dans la salle pour avoir une idée de l’ambiance qui m’a donné l’idée de mon texte)

 

Éclipse

« Regarde, maman. Grand-mamie, avant, elle ressemblait à ça, et maintenant elle a cette tête ».

Il me montre deux photos de son album, prise à un an d’écart.

Ma grand-mère et lui.

Sur la première elle n’était déjà pas très fringante, mais c’est incroyable comme en un an elle semble avoir diminué de moitié. À 90 ans je suppose qu’on prend sept ans à chaque anniversaire, comme les chats.

Mon fils a un ton détaché, pour lui c’est une simple observation. Moi j’ai peur que la prochaine photo la voie disparaître tout à fait. Flétrie, amoindrie, mon fils pèsera bientôt plus lourd qu’elle.

La vieillesse s’efface littéralement devant la jeunesse, cette énergie impétueuse et difficile à contenir, qui épuise ces êtres fragiles deux fois, par son bruit et sa fureur, et par ce pied de nez qu’elle semble leur faire.

Regardez ce que vous n’êtes plus. Regardez ce que vous avez perdu à jamais. Il ne vous reste que la peau sur les os et une immense amertume qui vous maintient en vie mais vous consume de l’intérieur. Chaque année, je grandis et je m’affirme tandis que tu te recroquevilles. Bientôt je t’aurai poussé hors du cadre. Bientôt tu ne seras plus qu’un souvenir.

« Regarde maman, la tête qu’avait Grand-mamie ».

La jeune femme aux mollets trop gros

La file d’attente s’allonge. Les skieurs s’impatientent. Ils comptent les minutes perdues à ne pas profiter de la poudreuse. Ils piétinent. Ils lambinent. Ils changent de position, regardent les autres files s’écouler. Ils maugréent, grognent, pestent. Cette maudite bonne femme aux mollets trop gros. Deux jambonneaux qui ne passent dans aucune chaussure. À chaque nouvelle paire un élan d’espoir, puis des soupirs. Encore raté. Le « chausseur » est de plus en plus désespéré. Son magasin est bientôt vide. Quant à la jeune femme aux mollets trop gros, personne ne s’inquiète vraiment de son sort. Qu’elle aille plutôt au bar, de toute évidence sa place n’est pas ici. Est-ce qu’elle sent tous les regards posés sur elle ? Est-ce que ses joues sont de plus en plus cramoisies alors que ses jambes refusent obstinément de rentrer ? Est-ce qu’elle force de plus en plus quitte à se faire mal, pour s’épargner cinq minutes supplémentaires de honte ? Est-ce qu’elle transpire à grosses gouttes dans sa combinaison moulante ? Est-ce qu’elle maudit les gènes, où les kilos en trop, ou la surdose de vélo, qui sont responsables de son état ? Est-ce qu’elle aimerait disparaître dans un trou de souris, elle et ses gros mollets ? Ou est-ce qu’elle se fiche de l’attente et des crispations de la foule, se sentant dans son bon droit ? Le chausseur a demandé de l’aide à un technicien, ils appuient de toutes leurs forces pour gagner quelques centimètres, mais en vain. Cendrillon n’a pas trouvé chaussure à son mollet.

Conciliabule

Stratégiquement placés entre deux poubelles, ils tiennent un conseil de guerre. Les deux camps sont séparés par un simple grillage, et aucun ne semble prêt à céder du terrain. D’un côté, le plus âgé, adossé au mur, dégage toute la sagesse apportée par le poids des années. Son comparse, ou peut-être son garde du corps, est encore un peu mal dégrossi et s’exprime principalement par des grognements et des onomatopées. De l’autre côté se dresse 1 m 02 de bagou, bien déterminé à assommer ses adversaires en ne leur laissant pas placer un mot. Enfin, un feu follet, partagé entre sa partie de foot et l’envie de suivre la conversation, complète le quatuor. Je les regarde en tentant de lire sur leurs lèvres, rêvant d’avoir une place à leur table. Mais des conversations d’adultes, beaucoup plus assommantes, m’attendent, et je les laisse à leurs débats.