Éclipse

« Regarde, maman. Grand-mamie, avant, elle ressemblait à ça, et maintenant elle a cette tête ».

Il me montre deux photos de son album, prise à un an d’écart.

Ma grand-mère et lui.

Sur la première elle n’était déjà pas très fringante, mais c’est incroyable comme en un an elle semble avoir diminué de moitié. À 90 ans je suppose qu’on prend sept ans à chaque anniversaire, comme les chats.

Mon fils a un ton détaché, pour lui c’est une simple observation. Moi j’ai peur que la prochaine photo la voie disparaître tout à fait. Flétrie, amoindrie, mon fils pèsera bientôt plus lourd qu’elle.

La vieillesse s’efface littéralement devant la jeunesse, cette énergie impétueuse et difficile à contenir, qui épuise ces êtres fragiles deux fois, par son bruit et sa fureur, et par ce pied de nez qu’elle semble leur faire.

Regardez ce que vous n’êtes plus. Regardez ce que vous avez perdu à jamais. Il ne vous reste que la peau sur les os et une immense amertume qui vous maintient en vie mais vous consume de l’intérieur. Chaque année, je grandis et je m’affirme tandis que tu te recroquevilles. Bientôt je t’aurai poussé hors du cadre. Bientôt tu ne seras plus qu’un souvenir.

« Regarde maman, la tête qu’avait Grand-mamie ».

Une réponse sur “Éclipse”

  1. Le regard des enfants est heureusement superficiel alors que les photos elles sont là pour marquer le temps on y peut rien
    Dis mamie pourquoi ta peau est toute froissée (parole d’alan à sa grand mère il y a plusieurs années déjà .

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