La jeune femme aux mollets trop gros

La file d’attente s’allonge. Les skieurs s’impatientent. Ils comptent les minutes perdues à ne pas profiter de la poudreuse. Ils piétinent. Ils lambinent. Ils changent de position, regardent les autres files s’écouler. Ils maugréent, grognent, pestent. Cette maudite bonne femme aux mollets trop gros. Deux jambonneaux qui ne passent dans aucune chaussure. À chaque nouvelle paire un élan d’espoir, puis des soupirs. Encore raté. Le « chausseur » est de plus en plus désespéré. Son magasin est bientôt vide. Quant à la jeune femme aux mollets trop gros, personne ne s’inquiète vraiment de son sort. Qu’elle aille plutôt au bar, de toute évidence sa place n’est pas ici. Est-ce qu’elle sent tous les regards posés sur elle ? Est-ce que ses joues sont de plus en plus cramoisies alors que ses jambes refusent obstinément de rentrer ? Est-ce qu’elle force de plus en plus quitte à se faire mal, pour s’épargner cinq minutes supplémentaires de honte ? Est-ce qu’elle transpire à grosses gouttes dans sa combinaison moulante ? Est-ce qu’elle maudit les gènes, où les kilos en trop, ou la surdose de vélo, qui sont responsables de son état ? Est-ce qu’elle aimerait disparaître dans un trou de souris, elle et ses gros mollets ? Ou est-ce qu’elle se fiche de l’attente et des crispations de la foule, se sentant dans son bon droit ? Le chausseur a demandé de l’aide à un technicien, ils appuient de toutes leurs forces pour gagner quelques centimètres, mais en vain. Cendrillon n’a pas trouvé chaussure à son mollet.