Résistance

Ce texte est issu d’une consigne envoyée dernièrement par Virginie, intitulée simplement « Écrire à partir d’une peinture ». Elle nous a proposé 6 tableaux, et l’un d’entre eux, peint par Egon Schiele, m’a inspiré le texte suivant.

Quand il l’accepta comme modèle, il ne savait pas qu’il ne lui restait qu’un mois à vivre. C’est quand il commença à choisir ses couleurs pour mieux représenter le visage qu’il réalisa que les tons de rose habituels ne conviendraient pas. Il opta pour du beige et du jaune. Le deuxième jour, il remarqua les tâches brunes qui marbraient son visage. Il ajouta à sa palette des teintes rouge foncé et marron. La lumière du studio se reflétant sur le visage de la femme donnait l’impression que son nez était tronqué, comme amputé. Il tenta de repousser la sensation de malaise qui ne le lâchait désormais plus mais des rêves de mort et de décomposition vinrent troubler ses nuits et le sommeil se fit rare. Il comprit que le portrait ne serait pas flatteur, mais il n’avait pas le choix. Il n’était pas là pour faire plaisir ni à son modèle, ni à ses éventuels acheteurs, mais pour illustrer la vérité, et à mesure qu’il avançait, il lui apparaissait de plus en plus clairement que celle-ci serait brutale et implacable. Que son portrait révélerait quelque chose que personne ne soupçonnait. Une sentence. Quand il commença à dessiner les yeux il sut que c’était une condamnation à mort. Mal à l’aise, il détourna son regard qui se posa sur un physalis qui s’épanouissait dans un coin de son studio malgré le manque de soins qu’il lui apportait. Il se força à se focaliser à nouveau sur son modèle. Mais quand il croisa son regard, il comprit qu’elle savait déjà tout. Alors il mit de la provocation dans le regard au lieu de la résignation. Il lui demanda de tourner légèrement la tête et de mettre le menton en avant. Il alla chercher le physalis et l’intégra à la scène, parce qu’il aimait son autre nom, « l’amour en cage », et parce que ses baies étaient toxiques, comme le mal qui empoisonnait peu à peu la jeune femme. Et ce portrait, de sentence, devint un pied de nez à la mort. Quand il fut terminé, il le lui jura : elle survivrait au passage du temps, elle aurait le dessus sur la maladie, sur cette toile au moins. Elle sortirait vainqueur.

P.S. Voici ci-dessus le tableau d’Egon Scheile « Self portrait with physalis ». Virginie n’avait pas donné (volontairement j’en suis sûre) le titre avec sa consigne, j’ai donc commencé à travailler le texte sans savoir qu’il s’agissait d’un autoportrait, et le personnage m’est apparu comme une femme (pour une raison que j’ignore).