Il y a encore la queue chez le poissonnier. Peu importe, j’ai du temps devant moi. Je me promenais au hasard des odeurs ce matin, et je me suis encore retrouvé devant sa devanture. Il faut dire que les effluves qui s’en échappent me chatouillent délicieusement les narines. Ici, si on ferme les yeux, on croit entendre les cris entêtant des mouettes, le clapotis des vagues et même les drisses de voiliers qui claquent lorsque le vent se lève.
Des dizaines de paires d’yeux brillants me titillent la moustache. Des spécimens presque encore frétillants qui ne demandent qu’à être dégustés. Sur l’étalage se mêlent des senteurs douces et parfumées. Sur quoi se portera mon choix aujourd’hui ? Des sardines, goûteuses mais dont les minces arrêtes se coincent parfois dans ma gorge ? La sole et sa chair blanche et savoureuse ? De la morue, cuisinée en brandade ou en acras ? Un pavé de thon cru détaillé en sushis ? Ou encore des crevettes bien décortiquées ? J’en salive d’avance.
Juste devant moi, une petite fille colle son nez contre la vitre parfaitement nettoyée. J’échange un regard blasé avec la poissonnière. Son mari est en plein travail : le ventre péniblement retenu par son tablier, vêtu, en bon breton, de sa sempiternelle marinière, il vide le saint-pierre de Madame Châles de ses parties les moins nobles. Mon tour est bientôt arrivé. Oh, j’ai beau être discret, j’ai été repéré mais ici plus personne ne s’étonne de me voir déambuler et faire mon marché. Je fais partie des habitués, même si les autres sont sur deux pattes.
« Madame ! Madame ! », s’écrie la petite fille décidément très mal élevée en me montrant du doigt. La poissonnière l’ignore et m’exhibe une dentition douteuse.
« Bonjour, Monsieur moustache. Qu’est-ce que ce sera aujourd’hui ? ».
Je lui rends tant bien que mal son sourire et miaule :
« Trois kilos de rascasse : je fais une bouillabaisse ».
Miaou ! belle chute, je me suis laissée prendre