Apparition

Un exercice amusant quand on travaille à plusieurs, c’est d’écrire chacun quelque chose sur un morceau de papier, puis de se l’échanger et d’écrire à partir de ce ou ces mots empruntés à un(e) autre. Nous nous sommes amusées, lors d’un atelier d’écriture en petit comité (nous n’étions que quatre) à procéder ainsi : écrire sur trois papiers 1.le nom d’un personnage 2.un lieu 3.un objet, puis prendre au hasard un papier de chaque (seule règle : pas le notre). J’ai obtenu ainsi « la femme gironde aux cheveux roux », « un toit » et « un accordéon ». Le texte, le voici :

Il était minuit. Je rentrais d’une soirée un peu trop arrosée quand soudain j’entendis un cri. Je me demandai un instant si je rêvais mais il se répéta, venant des hauteurs. Le réverbère de la rue était un peu faiblard, il n’éclairait que par intermittence. Je plissai les yeux mais ne vis qu’une ombre, trop massive pour être un chat, pourtant l’hypothèse la plus probable à cet endroit. « Eh oh ! », répéta l’ombre, qui n’avait décidément rien d’un chat. C’était une femme, je ne pouvais en dire plus pour l’instant. Une femme, perchée sur le toit de la maison voisine à la mienne. Le réverbère eut soudain un sursaut d’énergie et je la vis enfin. Grande, belle, rousse, tout en courbes. Un sourire espiègle dansait sur ses lèvres. La situation, à l’évidence, l’amusait follement.

« Je vous joue un air d’accordéon, jeune homme ? ».

L’incongruité de la demande me laissa muet. Elle prit mon silence pour un assentiment et se mit à jouer, comme si c’était naturel de jouer de l’accordéon en pleine nuit à un étranger, perchée comme un chat sur le toit d’une maison. Alors j’oubliai ma fatigue et ma surprise et m’assis pour écouter un air triste et lancinant qui me fit monter les larmes aux yeux. Je plongeai dans ce moment en refusant de me demander si je rêvais ou non. Le réverbère s’éteignit, la femme gironde aux cheveux roux joua sa chanson, puis la musique et l’ombre disparurent.

J’émergeai l’après-midi suivant d’un sommeil agité et sortis sur le palier fumer une cigarette, encore pris dans le merveilleux rêve de la veille.

« Quelle histoire ! », pensai-je. « Ce punch était vraiment traître ».

J’étais sur le point d’allumer ma cigarette quand soudain je vis quelque chose briller au milieu du jardin du voisin. Je m’approchai, la cigarette encore éteinte au bec, hébété, alors que les contours de l’objet se dessinaient avec une évidence grandissante. Un accordéon. L’accordéon de la mystérieuse inconnue. D’elle, aucune trace, sinon un seul cheveu cuivré pris dans le soufflet de l’instrument.

Perdue/retrouvée

Ce texte est issu d’un atelier d’écriture autour d’une exposition de la médiathèque intitulée Curioso (février 2016). Virginie nous avait demandé d’amener chacun un objet « curieux ». J’ai choisi de travailler sur un objet amené par ma camarade Laurence (je la remercie à nouveau pour la photo). 

 

J’ai été là dès le début. Quand deux ou trois comprimés suffisaient à garder la maladie à distance. Elle aimait alors se regarder dans le petit miroir une fois les médicaments avalés, vérifier si rien n’avait changé, s’assurer que son regard était le même. C’était gagné pour au moins une journée de plus. Puis le nombre de comprimés a augmenté, les doses aussi. Le regard dans le miroir est devenu plus fatigué, il refusait désormais de se fixer. Elle prenait tout en une fois, pour être débarrassée, puis elle me cachait au fond de sa poche. De compagnon utile je suis devenu le rappel d’un échec. Désormais elle refusait de croiser son regard dans le miroir. Et le nombre de médicaments à avaler me rendait de toute façon obsolète. Je fus remplacé par un modèle plus sophistiqué, plus rationnel, plus volumineux. Elle me rangea dans un tiroir et je ne vis plus jamais son regard. Jusqu’à ce qu’une petite fille fouineuse, des années plus tard, me découvre et m’adopte à nouveau. Aujourd’hui, je suis une mini-boîte aux trésors. Je ne peux pas contenir beaucoup, un bonbon, une médaille, une perle. Mais elle aime se regarder dans le petit miroir, vérifier jour après jour qu’elle est toujours la même, que rien n’a changé.

Le baiser

D’après Gustav Klimt, « Le baiser »

Ce magnifique tableau de Klimt est probablement l’un de ses plus connus, alors quand Virginie nous a proposé d’écrire à partir d’une peinture, et notamment de celle-là, j’ai pensé … et si cet hymne à l’amour n’en était pas un ?

Pile

La tête en arrière et les yeux clos, elle s’abandonne, elle s’oublie, elle se fond en lui, elle disparaît. Ils ne font qu’un, tout en couleurs lumineuses, tout en or et en fleurs. Ses pieds, entourés de cordelettes dorées en forme de cœurs, perchés sur un promontoire gorgé de nature, se raccrochent au bord d’un gouffre dont aucun d’eux ne connaît la profondeur. L’une de ses mains entoure le cou de l’homme et l’autre s’agrippe à lui. S’ils tombent, ils tomberont ensemble.

Face

Il enserre son cou de ses mains puissantes et semble l’embrasser mais ce sont des crocs qui transpercent sa peau, c’est une menace qu’il susurre à son oreille. Elle disparaît complètement dans son étau, dans son grand manteau noir et or. Ses petites fleurs colorées essayent de survivre, mais elle est totalement à sa merci, c’est à lui de décider de sa vie ou de sa mort. Ses pieds sont enserrés dans des cordelettes à la forme trompeuse, qui la maintiennent au bord du précipice, loin de la liberté. Une de ses mains cherche à entourer le cou de l’homme, l’autre à repousser ces serres qui l’empêchent de respirer, mais c’est peine perdue, elle est sa prisonnière.

Pour la véritable analyse de l’oeuvre, voir notamment cet article : https://www.kazoart.com/blog/oeuvre-loupe-le-baiser-de-gustav-klimt/

Je voudrais tant voir… dans l’embrasure de la porte

Voici la consigne proposée lors de la formation dispensée par Hédi Kaddour que j’ai eu la chance de suivre en mai dernier). Ecrire un petit texte en imaginant quelqu’un ou quelque chose à la place des petits points (Je voudrais tant voir… dans l’embrasure de la porte). Cette consigne est inspirée d’un texte de Grace Paley, « Ma mère » (recueil « Plus tard le même jour »). Voici comment le texte commence : « Un jour, j’écoutais la radio, sur les grandes ondes. J’ai entendu une chanson: oh, je voudrais tant voir ma mère dans l’embrasure de la porte. Mon Dieu!, dis-je, je la comprends, cette chanson ». Voici le mien, plus léger 🙂

Je voudrais tant voir une licorne dans l’embrasure de la porte. Je l’inviterais à entrer, dégagerais un peu le salon pour qu’elle puisse s’installer. Je commencerais la conversation par des banalités, lui demanderais si sa corne ne lui fait pas mal, si ce n’est pas trop gênant pour manger, et puis d’ailleurs, que mangent les licornes ? J’aurais tant de questions à lui poser. Je lui demanderais si je peux la toucher pour vérifier que je ne rêve pas, puis je la remercierais de m’avoir choisie. Je lui demanderai ce qui l’amène, si elle veut boire quelque chose, si je peux faire quoi que ce soit pour elle. Je prendrai un selfie avec elle pour montrer à tous que les animaux fantastiques existent. Je lui demanderai d’amener, à sa prochaine visite, ses amies les elfes, des fées, éventuellement un ou deux dragons, s’ils promettent de ne pas incendier ma maison. Je la remercierais pour ce moment magique, trop souvent fermé aux adultes. Je la regarderais s’éloigner, majestueuse et pailletée. Et je remettrais mes meubles en place.

Chut…

Ce texte est inspiré d’un fait divers dont vous avez sans doute entendu parler dernièrement. L’histoire de Sarah, 11 ans, qui n’a pas dit non, qui ne s’est pas débattue, et qui a donc été jugée consentante par le parquet. (Je vous laisse lire les articles si vous le souhaitez, tous les journaux en ont parlé). 

Il me dit « Bonjour mademoiselle ». Je ne le connais pas.

Il est grand et fort. Je ne le connais pas.

Il me parle tout bas. Je ne le connais pas.

Il me prend par la main. Je ne le connais pas.

Autour de nous, il n’y a personne. Je ne le connais pas.

Il passe sa main dans mes cheveux. Je ne le connais pas.

Il me prend par le cou. Je ne le connais pas.

J’ai 11 ans. Je ne le connais pas.

Il a 28 ans. Je ne le connais pas.

Je le suis jusqu’à chez lui. Je ne le connais pas.

Mes jambes pèsent une tonne. Je ne le connais pas.

Il me propose une grenadine. Je ne le connais pas.

Nous nous asseyons sur son canapé. Je ne le connais pas.

Je sens son souffle sur moi. Je ne le connais pas.

Il met sa main sous ma jupe. Je ne le connais pas.

Il se déshabille. Je ne le connais pas.

Il semble encore plus grand et plus fort. Je ne le connais pas.

Il est trop tard pour crier. Je ne le connais pas.

Dans ma tête je hurle. Je ne le connais pas.

Dans ma tête je m’enfuis. Je ne le connais pas.

Dans ma tête je me débats. Je ne le connais pas.

Dans ma tête je pars loin. Je ne le connais pas.

Il finit ma grenadine. Je ne le connais pas.

Il me raccompagne jusqu’à l’école. Je ne le connais pas.

Il me dit à bientôt. Je ne le connais pas.

Tout en moi s’est éteint. Je ne sais pas quand la lumière reviendra.

Coups et blessures

Je les vois avant de les entendre, tout en gesticulations et en colère contenue, tentant de maintenir un volume de voix socialement acceptable. Il s’élève au-dessus d’elle tel un ogre, alors qu’elle se fait de plus en plus petite, penchée sur un sac dont elle vide, d’abord méthodiquement, puis de plus en plus fébrilement, toutes les poches dont le contenu s’éparpille sur le sol. Je m’approche progressivement d’eux, passager après passager, je sais que je vais finir par arriver à leur hauteur. Mon pouls s’accélère, je sens les gouttes de sueur commencer à perler. Je déteste les confrontations et pourtant celle-ci est inévitable. Je distingue ce qu’ils se disent à présent, les mots qu’ils se lancent comme on jetterait des pierres. Les coups qui partent, aller et retour. « C’est à toi de gérer ça ! » « Ah oui, comme je gère tout ? » Coup droit, crochet, uppercut. Les usagers autour d’eux les observent, comptent les points, ou regardent délibérément ailleurs, gênés par le spectacle. Certains se vissent un casque sur les oreilles ou plongent le nez dans un livre pour s’échapper. Je suis presque arrivée à leur hauteur. Je ne peux plus jouer la montre. Plus que trois billets à contrôler. Le sac est vide, maintenant. Il a cessé de contenir sa voix. Il crie. Elle a cessé de se défendre. Toute son énergie est concentrée sur un seul objectif : retenir ses larmes. Elle est affaissée sur son siège, les mains sur les yeux. J’enjambe les papiers, clés, mouchoirs et tubes de rouge à lèvres qui jonchent le couloir, prend une inspiration et esquisse mon plus beau sourire, la mort dans l’âme : « Vos billets, s’il vous plaît ». Il me regarde avec fureur. Elle éclate d’un rire dément. Je me penche, m’accroupis, ramasse au hasard un des papiers abandonnés sur le sol et m’exclame « Ah ! Les voilà ! ». Je composte le bulletin d’adhésion à la salle de gym de son mari, ajoute en gros « Contrôlé, le 21 septembre 2017 », et le tend à la femme. « Bonne journée, madame ! ». Puis, m’adressant à lui et lui montrant le tas amoncelé par terre : « Je crois que vous avez fait tomber quelque chose ». Il blêmit, et je lui tourne le dos, passant aux prochains usagers. Je sens son regard sur ma nuque mais je ne me retourne pas. Quand j’atteins la fin du wagon je le vois du coin de l’œil ramasser ce qui traîne et tout fourrer dans le sac. Sa femme le regarde. Elle semble avoir retrouvé quelques couleurs. Je lui lance un petit sourire avant de poursuivre mon chemin. Si j’ai remporté le combat, d’où vient ce goût amer dans ma bouche ?

Je suis énergique comme un livre

Comme promis, un autre petit texte dans le même esprit que le portrait chinois. Dans ce petit jeu, nous avons chacun(e) pris deux morceaux de papier sur lesquels nous avons écrit un nom d’objet et un adjectif, puis nous avons mélangé les papiers et choisi (au hasard) un papier de chaque. 

On obtient donc Je suis… comme un…

Voici le mien :

Je suis énergique comme un livre.

Mon lecteur est si lent, si hésitant. Il déchiffre plutôt qu’il ne lit, et s’arrête parfois brusquement, pour aller aux toilettes, ou parce qu’il considère qu’il a mieux à faire. Mais j’ai tellement à raconter, moi ! Chacune de mes pages déborde d’action, les personnages entrent, jouent leur rôle, puis sortent de scène, pour laisser place à d’autres. Comment peut-il s’arrêter net au milieu de cette haletante poursuite en voiture, me poser, et vaquer comme si de rien n’était à ses occupations ? Il y a tellement de vie en moi que j’ai peine à la contenir dans ce carcan de papier. Que j’aimerais pouvoir prendre ma liberté, m’échapper de cette reliure et laisser éclater toute cette fougue prise au piège des caprices de cet homme qui ne me mérite pas, et qui peut pourtant, d’un doigt, me refermer, et me condamner à l’oubli, bouillonnant d’une énergie qu’il ne voit et ne comprend pas !

Si j’étais…

Connaissez-vous les portraits chinois ? Ce sont des exercices d’écriture très amusants et variés, qu’on peut refaire à l’infini et qui ne donneront pas le même résultat selon les jours… 

Le principe ? 

Si j’étais un objet, je serais… Si j’étais un animal, je serais… Si j’étais un pays, je serais… etc. Exemple (parmi tant d’autres) ci-dessous :

Si j’étais une boisson je serais un expresso, servi dans une tasse en porcelaine, sur la terrasse d’un café à Florence. Serré, ristretto, se suffisant à lui-même. Allant droit au but et n’ayant pas peur de donner un coup au cœur. Refusant de s’adoucir par un nuage de lait, de se diluer avec de l’eau, de se dénaturer avec un morceau de sucre, de s’adapter aux goûts douteux des profanes. Je serais bu en une gorgée, mais dégusté, et j’accompagnerais mon buveur le reste de sa journée, restant présent dans un coin de son palais, dans l’élan transmis à ses jambes, l’impulsion donnée à ses pensées.

 

 

L’insoupçonnable

Texte écrit autour de la visite de la maison natale de Jean de la Fontaine (qui est, je vous le donne en mille, à Château-Thierry). La consigne était d’écrire un texte mettant en scène la vie quotidienne de quelqu’un dans cette maison.

Il est encore enfermé dans son cabinet de travail. Il me semble pouvoir entendre le crissement de la plume sur le papier, mais je suis trop loin, c’est mon imagination qui me joue des tours. Il a prévu un déplacement à Paris demain. Cela veut dire que la pièce sera à moi pour plusieurs heures. C’est à moi que revient l’honneur de faire la poussière, de vider son pot de chambre. Je suis l’invisible, l’insoupçonnable. Je traverse la maison comme l’un de ses objets. Je ne serai jamais l’héroïne de ses fables. Mais cette insignifiance me protège car il ne se méfie pas de moi. Il ne s’imagine pas que depuis 30 ans que je suis là, j’ai appris seule à lire à partir de ce qu’il écrit et qu’il laisse à ma vue. Il ne sait donc pas que je suis en réalité sa première lectrice. Je n’ai jamais osé emporter les pages à l’étage, de peur de me faire prendre. Alors je frotte le plancher, nettoie tout ce que je peux, fais la poussière, tout cela le plus rapidement possible. Puis, quand je sais les autres occupées dans le reste de la maison, j’effleure les pages parfois immaculées, parfois très raturées, et je devine son état d’esprit. Je sais si ce jour-là, il était inspiré ou non. Je sais si sa tête était ailleurs. Je déchiffre ses mots et mon cœur bat à tout rompre, partagé entre la peur d’être découverte et l’excitation d’être la première à lire ces mots, bien avant Madame, qui n’a même pas le droit, ces temps-ci, de pénétrer dans cette pièce. Et je savoure cette petite victoire, je m’en souviens quand je suis à genoux par terre, à récurer le sol, quand l’odeur de leur crasse me pique les yeux. Je me rappelle un mot, une tournure, je les murmure pour moi-même et j’esquisse un sourire.

Vole, petite fée !

La médiathèque de Château-Thierry a organisé il y a de ça quelques temps déjà (février 2016) une exposition appelée Curioso. Elle a été le cadre d’un atelier d’écriture. Voici un des textes que j’ai écrit, en m’inspirant d’« Assemblages et mouvements » de Stéphanie Biblocq (voir deux des œuvres ci-dessous).

Vole, petite fée !

Je suis faite de petits morceaux de bois sauvés de l’oubli, de fils de fer semblant tenir comme par magie. On m’a assemblée comme Geppetto créa Pinocchio, en oubliant un détail. Je suis un pantin qui attend qu’on l’anime. Petite fée fragile perchée sur ma balançoire de fortune, je rêve qu’un passant s’arrête et me choisisse. Ne touchez pas, soufflez ! J’aimerais m’envoler de plus en plus haut, sentir le souffle du vent sur mon visage, l’ivresse de la vitesse, l’étrange excitation de la peur. Soufflez, donnez-moi vie ! Peut-être que si vous y croyez suffisamment, l’espace de quelques secondes, je cesserai d’être une petite fée de bric et de broc pour redevenir l’enfant que je n’ai jamais été, riant aux éclats et demandant à son père de la pousser de plus en plus fort sur la balançoire.