La consigne à l’origine de ce texte était la suivante « Dans un train, une personne en face, qui vous regarde attentivement, que pense-t-elle ? ».
Elle a la trentaine bien tassée. Des enfants, ça se voit aux rides sur le front, ce sont des rides de désapprobation, de « finis tes légumes », de « pourquoi est-ce que tu mets toujours dix plombes à t’habiller ? », de « c’est quoi ce mot sur ton carnet ? ». Il y a des rides autour de sa bouche aussi, heureusement. Le rouge des cheveux disent un peu « regardez-moi, je n’ai pas peur de me faire remarquer, de m’assumer telle que je suis ». Sauf que, ma cocotte, si tu t’assumais vraiment, tu ne te teindrais pas les cheveux. Et puis elle est nerveuse, elle se grignote les doigts. Elle a rougi un peu aussi, elle sent que je l’observe. Elle pense peut-être que je veux la séduire. C’est une méprise courante, que je trouve assez amusante. Elle lit, mais je vois bien qu’elle n’arrive pas à se concentrer, qu’elle reprend sans cesse les mêmes lignes. Elle croise et décroise ses jambes, cherche une position confortable. Elle regarde le reste du compartiment, peut-être à la recherche d’une place vide. Manque de pot pour elle, le train est complet. Elle est coincée avec moi. Je continue à noter mentalement des détails. Comme le bleu de ses yeux. Ses lèvres légèrement pincées. Les lunettes assorties aux cheveux. Ses mains qui viennent caresser le pendentif en forme de cœur. La tenue soignée, le maquillage discret. Une bague à un des doigts, mais pas d’alliance. Elle tourne enfin la page. Mon regard ne la perturbe plus. Alors je sors mon petit carnet et je note tout ça, tous ces détails, tout ce qu’elle me montre d’elle sans s’en rendre compte. J’ai mon personnage.
Tu es assise face à toi même ? Beau portrait
Non, ce n’est pas moi, sinon ce serait un auto-portrait 🙂 Le « elle », oui, mais pas le « je »…