Résurgence

Le texte du jour est tiré d’une consigne proposée par mon amie A. lors de notre dernier atelier. Nous devions partir d’un incipit. Pour les non-initiés, ce sont les premiers mots d’un manuscrit, d’un ouvrage ou les premières notes d’un ouvrage musical ou instrumental (merci monsieur Larousse). Parmi les propositions, j’ai choisi « C’est le moment de croire que j’entends des pas dans le couloir », se dit Bernard ». (Pour information, c’est le début d’un roman d’André Gide, « Les faux-monnayeurs »).

C’est le moment de croire que j’entends des pas dans le corridor, se dit Bernard. J’ai un planning très serré en matière de névroses. Si je ne le tiens pas, je risque de devenir sain d’esprit, et il nous faut éviter ça à tout prix, n’est-ce-pas ? Alors, à 17 heures précises chaque jour, je tends l’oreille et je me concentre jusqu’à ce que le bruit sec de tes talons me parvienne, d’abord étouffé, puis de plus en plus présent, jusqu’à en devenir assourdissant. Les bons jours, j’entends même la clé qui tourne dans la serrure, alors que la porte n’est même pas verrouillée, puis le grincement des gonds, la porte qui se referme, un peu sèchement. Puis tes pas décidés dans le couloir, qui se rapprochent de plus en plus. Je fais durer ce moment plus que s’il se produisait réellement, pour profiter de chaque seconde. Tu es enfin de retour. Mon cœur bat un peu plus vite, ma bouche devient sèche. Si je reste bien concentré, peut-être que l’illusion se prolongera jusqu’à ce que la porte du salon s’ouvre et que tu arrives jusqu’à moi. Non, ce ne sera pas aujourd’hui. Le bruit s’atténue, les pas s’éloignent. La porte d’entrée se referme. Je suis de nouveau seul. Tu ne reviendras pas, je le sais. Mais chaque jour, à 17 heures précises, je continuerai à m’astreindre à cet exercice si divin. Ce numéro d’équilibriste avec ma raison où je tombe mais me relève toujours, pour réessayer, jour après jour, de le réaliser jusqu’au bout.