Préliminaires

Je l’ai préparé longtemps, ce meurtre. Dans ce domaine, il ne faut rien laisser au hasard. Il est tentant de déléguer, mais le risque à la fois d’échec et de trahison est bien trop grand à mon goût. Le crime est une histoire personnelle, surtout quand il est passionnel. Je n’ai aucune envie de laver mon linge sale en public. Donc c’est décidé, cela restera entre moi et ma victime. Un dernier pas de deux amoureux, en somme. Quant à la méthode, j’ai pesé le pour et le contre en m’aidant de tableaux récapitulatifs. Ce ne sont pas les options qui manquent en la matière. Un petit coup de lame à la carotide ? Trop sanguinolent. La pendaison, pour faire croire à un suicide ? Je n’ai pas la musculature. La pousser sous un train ? Trop aléatoire, sans parler du traumatisme infligé au conducteur. Une arme à feu ? Difficile de s’en procurer une, et puis il faut bien viser, je ne voudrais pas la transformer en légume. La strangulation ? Trop intime. Je vous en passe et des meilleures. J’ai même lu un cas très intéressant d’une japonaise qui a fait avaler les testicules de son mari à son amant en les faisant passer pour des ris de veau. Ça m’a semblé original, mais passablement dégoûtant – pour les deux victimes. Je ne suis pas fan des ris de veau, en ce qui me concerne – même les vrais. Et puis on peut tuer sans tomber dans le sordide, en gardant un certain respect de soi-même et des règles culinaires. Après mûre réflexion, j’ai donc opté pour la ricine. C’est rapide, efficace, et ça ne ressort pas dans les analyses toxicologiques de base. C’est douloureux, oui, bien sûr, mais on n’a rien sans rien, et après tout on parle de meurtre, pas de macramé. Ce qui me fait penser…. Non, pas l’immolation, à cause de l’odeur. On en revient au poison. C’est une méthode féminine, il paraît. Cela brouillera d’autant plus les pistes. Les hommes préfèrent généralement l’attaque frontale. Mais je suis pragmatique avant tout. On n’a jamais deux fois l’occasion de commettre le crime parfait – sur la même personne, du moins. Donc autant s’y prendre correctement dès le premier coup. Poison, glissé dans son plat ou dans un verre. Elle qui se plaint régulièrement d’avoir des aigreurs d’estomac, elle va être servie. Je l’ai appelée, depuis un téléphone prépayé (je regarde les séries policières, comme tout un chacun), pour lui proposer de venir dîner chez moi. Elle a accepté avec un enthousiasme qui m’a un peu écœuré.  Mais bon, si je ne la trouvais pas aussi répugnante, je projetterais de l’emmener en croisière, pas de la faire passer de vie à trépas. J’ai préparé soigneusement une ambiance romantique, que vous interpréterez comme bon vous semblera : excès de cruauté ou, au contraire, petite touche montrant qu’au fond, je suis bon bougre et lui assure une dernière soirée agréable, jusqu’à un certain point. Le point d’orgue de la soirée se déroulera au dessert. Il faut bien quelque chose pour accompagner son poison, ce sera un fraisier avec éclats de chocolat blanc, mon plat-signature. Si elle survivait (ce qui ne sera pas le cas, j’ai prévu trois fois la dose létale, on n’est jamais trop prudent, je ne connais pas son métabolisme) elle pourrait se vanter d’être la seule à avoir goûté cette version très spéciale de ce grand classique culinaire.

Elle sonne. Je vous laisse.