Je suis né

Je suis né sur le siège avant d’une Panda à cinq kilomètres de la maternité. Mon père s’était arrêté en catastrophe sur le bord de la route, les hurlements de ma mère ne laissant aucun doute sur l’imminence de mon arrivée. Je me souviens encore de la tête du jeune pompier qui m’a découvert tranquillement endormi dans les bras de ma mère, enveloppé tant bien que mal dans un gilet de sécurité jaune fluo.

Je suis née après 27 heures de contractions, pendant lesquelles ma mère a traité mon père de tous les noms d’oiseaux qu’elle pouvait imaginer, et elle ne manque pas d’imagination. Quand elle m’a vu il paraît qu’elle a lâché une dernière bordée d’injures, avant de se tourner vers lui et de lui déclarer son amour.

Je suis né dans une famille trop grande pour que ma présence ou mon absence ne fasse une grande différence dans le tourbillon de la vie quotidienne.

Je suis née par surprise, ma mère ayant attribué sa prise de poids à une consommation excessive de chocolat. Le premier jour de ma vie sur terre, j’ai porté un vieux body déniché par les sages-femmes, sur lequel figurait la poétique mention «  Beau comme un camion ». Le deuxième jour, mon père a été dépêché dans les magasins, en quête de vêtements plus adaptés à ma condition féminine.

Je suis né beaucoup trop tôt, si bien que j’ai cru pendant des mois que la couveuse dans laquelle on me gardait était ma maman, et je me demandais si la vie se résumait à des visites quotidiennes de gens qui pleuraient et qui osaient à peine me regarder, de peur de s’attacher.

Je suis née exactement le jour prévu et j’ai eu la délicatesse d’attendre que la péridurale ait fait effet pour entamer ma descente finale.

Je suis enfin né après des années d’attente, de faux espoirs et de vrais drames, de procédures et de démarches, de piqûres dans le ventre et de déceptions. Le dossier de ma mère portant la mention « Grossesse précieuse », j’en ai déduit que je ne devais pas être fait du même métal que les autres, ce qui m’a rendu fier, et un peu arrogant.