Albert

Le point de départ de cette consigne était de partir de trois titres de livres empilés, comme vous le verrez sur l’image, sans les séparer, et de continuer l’histoire…

Dans la forêt, au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, j’ai perdu Albert. Je ne peux pas donner d’indication plus précise, vous devrez vous contenter de cela. Voyez-vous, je dois absolument le retrouver. Je ne peux pas continuer sans lui. Je n’ai plus personne avec qui compter les étoiles. C’était lui qui me redonnait du courage pendant la longue marche. Il tenait éloignés les mauvais esprits, me protégeait des dangers, réels et imaginaires. Albert était une partie de moi, le seul vestige, à part ce maigre baluchon qui me lacère le dos, de mon passé et de mon pays. Nous sommes seuls chacun de notre côté, à présent. Je sens déjà qu’il m’échappe, je n’arrive plus à fixer son image dans ma mémoire. Les souvenirs que j’ai de lui me semblent à demi-inventés. Quel a été notre dernier tête-à-tête ? Je me revois distinctement lui raconter mon cauchemar de la nuit précédente, celui que nous connaissions tous deux par cœur, celui des cris, des flammes, des coups de mortier et du goût du sang que je retrouve dans ma bouche en me réveillant. Tellement de sang que le monde entier devient écarlate. Il m’écoutait patiemment, et nous attendions ensemble que mes pleurs sèchent. Nous venions de passer la frontière, et nous étions toujours là, indemnes. Je m’étais écroulé dix kilomètres au sud des barrages, et j’avais dormi, attendant le retour inexorable des mauvais rêves et le réveil en sueur, le cœur battant à tout rompre. J’ai dû laisser Albert là, en repartant. Comment ai-je pu l’oublier, lui qui m’était si fidèle ? Nous avions échappé au pire et j’ai dû relâcher mon attention pendant quelques secondes. Je me suis rendu compte de son absence quand j’ai fait une halte pour manger mon dernier gâteau sec. Je voyais la ville, et donc la fin de la longue marche, l’espoir d’une vie nouvelle, à quelques kilomètres seulement. « Nous y sommes presque », ai-je annoncé joyeusement à Albert. Il n’a pas répondu. J’ai fouillé désespérément mon sac, l’ai vidé et retourné plusieurs fois, suis reparti en arrière dans une course effrénée, mon regard balayant fiévreusement les alentours, mais il n’était plus là. J’avais perdu mon unique allié, mon seul compagnon. J’ai hurlé aussi fort que mes petits poumons de cinq ans le pouvaient, mais je n’ai pas pleuré. Albert n’était plus là pour sécher mes larmes. Alors, vous comprenez, vous devez m’aider à le retrouver. Il s’appelle Albert, c’est un ours brun. Il a une oreille en moins, mais j’y tiens beaucoup.

P.S. L’image, rognée, ne permet pas de lire totalement le nom des auteurs et des romans. Les voici donc (ce ne sont pas mes livres, donc je ne les ai pas [encore] lus) : Dans la forêt, de Jean Hegland ; Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, de Haruki Murakami et J’ai perdu Albert, de Didier Van Cauwelaeert… Bonne lecture !

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