(Dés)obéissance

Tac ! Le claquement de la règle me sort de ma rêverie. J’étais pourtant bien, loin de cette salle qui sent le renfermé, où nous sommes coincés toute la journée à entendre Madame Pichon radoter, récitant les tables de multiplication comme s’il s’agissait d’incantations, comme si, à chaque répétition, elle ajoutait un coup de maillet sur notre crâne pour s’assurer que tout était bien assimilé.

Tac ! Le claquement s’est rapproché. Elle est à la table d’Antoine, juste devant moi, et a raté de peu ses doigts qui fourrageaient dans son stock de cartes Pokémon. Il manque de tomber de sa chaise, ce qui fait ricaner tout le monde, sauf Madame Pichon, qui garde la mâchoire serrée et les lèvres blanches à force d’être pressées l’une contre l’autre.

« Auguste ! Comment tiens-tu ton stylo plume ? Ce n’est pas une raquette de tennis ! Plus de soin dans l’écriture, combien de fois faut-il vous le rappeler ? » Auguste soupire, un peu trop distinctement : « Auguste, puisque tu tiens tant à t’exprimer, viens au tableau nous écrire la table de 7 ».

« 7×1, 7, 7×2, 14, 7×3… » Et toute la classe reprend cette litanie qui me fait à nouveau partir très loin de ces murs, à des années-lumière de cette prison pour futurs petits robots.

Ah, si j’osais, je me lèverais de cette chaise et je partirais loin d’ici, sans jamais me retourner, sans tenir compte des cris de Madame Pichon, de ses menaces, sans écouter le « Tac ! » de la règle.

Ah, si j’osais, je lui arracherais la règle des mains, puis je la briserais en deux, et je continuerais mon chemin, hors de la classe, hors de la cour, hors de l’école, je n’écouterais que le son de mes pas, et je verrais bien où ils me mèneraient. 

Tac ! Le claquement résonne, juste à côté de mon oreille.

« Jules ! 7 x 8 ? » « 56, Maîtresse ! »  Elle entrouvre les lèvres, satisfaite, et reprend sa marche militaire. Et je rougis un peu d’avoir rejoint malgré moi la troupe des petits robots.