Ma cicatrice

J’ai une petite cicatrice oblique sur la lèvre supérieure. Elle n’a jamais figuré à la liste de mes complexes, peut-être parce que j’ai bâti toute une histoire autour d’elle. J’avais trois ans quand c’est arrivé. J’étais à Disneyworld avec mes parents et au milieu de la foule, une des mascottes m’a fait tomber. Ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé, mais je me suis si souvent dit cette histoire que désormais elle est ma vérité, et que les circonstances exactes de l’événement ne m’intéressent pas. Ce serait de toute façon bien plus banal. Et qui m’empêche d’imaginer un cadre fantastique à cette partie de moi qui me distingue des autres ? Je ne veux pas être parmi les milliers qui tombent bêtement dans les escaliers et doivent aller aux urgences se faire poser deux points de suture par l’interne de service. Qui voudrait écouter cette histoire ? Ce qui est sûr, c’est que je n’ai aucune envie de la raconter. Non, j’étais à Disneyworld avec mes parents, et au milieu de la foule, une des mascottes m’a fait tomber. Je me souviens très bien d’ailleurs qui s’agissait de Mickey, rien que ça. Étouffant dans ses vêtements de souris, aveuglé par sa grosse tête en peluche, il n’a pas vu une petite fille d’un mètre de haut aux couettes blondes. Je suis tombée sur le trottoir et mes parents m’ont amené à l’infirmerie, où, qui sait, j’ai peut-être été soignée par une femme déguisée en Daisy. C’est ce qui explique que je n’aie jamais supporté cet idiot de Mickey. J’ai toujours ressenti sa perfidie et sa bassesse, qui seules pourraient expliquer une attaque aussi sauvage envers une enfant sans défense. J’ai cette cicatrice depuis mes trois ans, et l’élaboration de sa légende a été une des premières pierres de mes velléités d’écriture. Voilà pourquoi je l’aime tant, au final, ce petit trait oblique sur ma lèvre.