Cette consigne, proposée par mon amie Anne lors de notre dernière escapade d’écriture « en solo », part du tableau d’Edward Hopper intitulé « Night Windows ». L’objectif, en utilisant le tableau ou pas (je m’en suis éloignée) est d’imaginer le quotidien des personnes qu’on peut apercevoir dans les appartements éclairés en ville, en période hivernale (qui sont-ils ? à quoi pensent-ils ? que font-ils ? etc).
Il avait l’impression de la connaître alors qu’ils ne s’étaient jamais parlé. Elle habitait au rez-de-chaussée et ne fermait jamais les volets avant tard le soir. Il aimait particulièrement les ombres que dessinaient les lumières d’ambiance de son intérieur en hiver. La première fois qu’il était passé devant chez elle, il avait été presque gêné de la voir assise sur son fauteuil, dans une robe de chambre défraîchie, devant son plateau télé, comme s’il entrait trop brusquement dans l’intimité d’une inconnue. Puis, malgré lui, il s’était pris au jeu et il ne se passait désormais plus un jour sans qu’il ne passe devant le 8 rue Jeanne Moreau pour retrouver la même scène, jour après jour. Même tenue, même position, même plateau télé. Le froid étant venu, et de peur de se faire prendre, il avait élaboré un stratagème pour pouvoir l’observer sans qu’elle ne le voit, assis à une table du café d’en face. Il savait qu’il aurait dû s’en sentir honteux, mais c’était plus fort que lui. Il lui fallait découvrir qui elle était. Après plusieurs semaines, il savait désormais ce que contenait son plateau : une soupe, un morceau de fromage, un verre de vin et une pomme, là encore quotidiennement. Pas d’entorse au train-train chez elle. Elle regardait également toujours la même émission, et ayant noté précisément à quel moment elle riait (toujours à 18h07 et 18h23, précisément), il était parvenu à la conclusion qu’elle visionnait tous les jours le même épisode d’une vieille série télé. A partir de là, il lui fallut imaginer le reste de sa vie. Elle portait des charentaises trop grandes pour elle. Il en conclut qu’elles appartenaient à son défunt mari. Il lui imagina aussi deux enfants, partis de la maison depuis longtemps. En revanche, il avait du mal à lui donner un âge. Malgré le style désuet de son appartement aux innombrables bibelots et au papier peint vieillot, elle aurait pu avoir 50 ans comme 70 ans. C’est son rire qui le faisait douter, ce rire qu’il n’entendait que dans sa tête mais qu’il imaginait plein d’une vigueur qui ne cadrait pas avec le reste. Il rêvait presque toutes les nuits qu’au lieu de s’asseoir à son poste d’observation, il trouvait le courage d’aller sonner chez elle et de percer enfin le mystère. A chaque fois il se réveillait le cœur battant, soulagé qu’elle reste telle qu’il voulait l’imaginer.
On a envie de lui dire « espèce de voyeur » puis on s’habitue et on voudrait bien connaître la suite comme lui, ne pas intervenir attendre et « voir » par curiosité