Le pompon

Le Rêve spatial était presque plein. A la fin de chaque tour, les enfants commençaient à se tendre, anticipant où s’arrêterait le véhicule qu’ils avaient choisi depuis au moins cinq minutes. Comme souvent le petit se remettait au choix de son grand frère, plus expérimenté en la matière. Il aurait bien aimé la voiture de course, l’hélicoptère Mickey le tentait bien aussi, mais l’aîné savait exactement ce qu’il cherchait. L’essentiel n’était pas tant le personnage ou le type de véhicule, ni même sa couleur. La voiture fut balayée d’un revers de main : trop statique. Quant à l’hélicoptère, son toit constituait un handicap majeur. Il savait ce qu’il voulait : un véhicule volant, mais ouvert. Alors, quand le manège commença à ralentir, il s’y dirigea avec détermination. Son petit frère couru derrière lui de peur de se faire distancer, et, malgré nos protestations, ils se jetèrent ensemble dans la soucoupe volante sans même attendre que ses précédents occupants en soient totalement sortis. A la guerre comme à la guerre. Ils s’harnachèrent rapidement, et le regard du grand se dirigea vers la cabine du forain. Il était prêt. Le manège s’ébranla. Les parents commencèrent à sortir leur téléphone pour capturer leurs chérubins en action. On n’avait jamais assez de photos et de vidéos de cet événement, qu’importe si elles étaient presque toujours ratées. Voir les deux frères côte à côte, vraiment ensemble, me procurait toujours la même émotion, la même fierté, même. Ils sont beaux, tous les deux, pensais-je à chaque fois (Quand ils ne se jettent pas de jouets à la figure, ajoutait le petit diable sur mon épaule). Pas de dispute, pas de concurrence, indivisibles. Le manège accéléra, l’aîné actionna la manette qui faisait s’élever la soucoupe. Le petit encore une fois se laissait guider, éclatait de rire. Le visage du plus grand restait impassible. Pas d’exaltation, pas d’ivresse de la vitesse pour lui. Il avait un seul objectif, et rien ne se mettrait entre lui et ce qu’il convoitait. Il se tordait le cou à suivre les moindres gestes du forain en attendant le grand moment, même s’il savait qu’il n’arriverait pas tout de suite. Son frère était totalement dans le moment, perdu dans la joie des lumières et de la musique, du manège qui tournait, montait, descendait, peut-être même de la légère nausée qui faisait partie de l’expérience. Tour après tour, son plaisir ne diminuait pas. Mais son frère, lui, ne pouvait pas se permettre de s’abandonner, de lâcher prise, de profiter. Quand le forain accrocha la houppe de laine et se mit à la lancer, je le sentis se tendre encore plus, se grandir. Il plaça la soucoupe à la hauteur idéale et attendit. Puis il leva les bras au premier tour. Raté. Peu importe. Il aurait plusieurs essais. Deuxième tour, encore raté. Un autre enfant attrapa le trophée et je sentis, plus que je ne vis, son visage s’affaisser un peu. Le forain disparu à nouveau quelques secondes et n’en ressortit pas les mains vides. Ouf. Il y aurait une dernière chance. Il retrouva un peu d’espoir et, au tour suivant, se jeta sur sa proie. Gagné ! Il leva son butin en l’air pour nous le montrer, triomphant, sous le regard plein de fierté de son petit frère. Alors il s’accorda enfin le droit de sourire et de profiter de la fin du tour, en sachant que ce ne serait pas le dernier.

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